Lettres de Marie-Antoinette/Tome II/Lettre CCXL

Lettres de Marie-Antoinette, Texte établi par Maxime de La Rocheterie [1837-1917], Alphonse Picard et FilsTome II (p. 142-143).

CCXL.

Au comte de Mercy.
1789, 15 août.

Voici mes lettres, Monsieur le comte ; je désirerais bien que vous recommandiez celle pour ma sœur, pour que de Vienne on l’envoie par la poste tout de suite à Clagenfurth[1]. Soyez tranquille, je n’ai écrit dans mes lettres que ce que tout le monde peut lire. On m’inquiète, depuis deux jours, sur l’abbé[2]. On dit que le lieu où il est n’est pas sûr ; voyez si vous croyez cela. Il serait peut-être bien fait qu’il s’éloignât davantage. Je recommande à l’Empereur M. de Lambesc, au... qu'il[illisible] aille à Vienne. Je mets un grand prix qu’il le reçoive comme il doit l’être chez nous tous :et plus sa mère[3] a été mal pour moi de puis longtemps, plus j’ai toujours eu à me louer personnellement des deux frères[4]. Ma santé va assez bien. La matinée de jeudi m’a pourtant fait bien du mal. Les nouvelles arrivées de Normandie[5] et de Boulogne prouvent à elles seules combien un Te Deum était déplacé dans ce moment[6].

Il n’y a point d’ambassadeurs mardi ; ainsi vous ne viendrez que pour la Saint-Louis. Si vous pouviez venir la veille, dans la soirée jusqu’à neuf heures, je serai chez moi, et j’ai toujours un nouveau plaisir à vous voir, Monsieur le comte, et à vous assurer de toute ma confiance et parfaite amitié.

Mandez-moi, je vous prie, l’adresse de ma sœur de Bruxelles, au cas qu’elle soit encore à Spa.

(Archives impériales d’Autriche. Éd. Feuillet de Conches, l. c, I, 251.)

  1. C’est à Klagenfurth que mourut, le 19 novembre 1789, l’archiduchesse Marie-Anne, l’aînée des enfants de Marie-Thérèse.
  2. L’abbé de Vermond, compromis à cause de l’influence qu’on lui attribuait sur la Reine, avait cru devoir quitter la France après la prise de la Bastille. Il mourut à Vienne pendant l’émigration.
  3. La comtesse de Brionne, née Rohan-Rochefort.
  4. Le frère du prince de Lambesc était le prince de Vaudémont.
  5. En Normandie, la populace arrêtait les convois de blé, maltraitait les charretiers et pillait les grains. La troupe était impuissante à empêcher ces désordres. C’est dans une de ces émeutes à Caen, le 12 août 1789, que le malheureux Henry de Belsunce fut massacré, son corps déchiré, son cœur arraché et mangé.
  6. On chanta le 13 août un Te Deum à l’occasion de l’abolition des droits féodaux, votée d’enthousiasme par l’Assemblée dans la fameuse nuit du 4 août.