Lettres de Marie-Antoinette/Tome I/Lettre XI

Lettres de Marie-Antoinette, Texte établi par Maxime de La Rocheterie [1837-1917], Alphonse Picard et FilsTome I (p. 25-27).

XI.

À l’Impératrice Marie-Thérèse.
1771, 18 décembre.
Ce 18 décembre.

Madame ma très chère mère, agréez mon hommage et mes vœux pour la nouvelle année ; ses enfants [ne] désirent tous que de vous donner satisfaction et je [le] désire autant qu’une autre. Si vous aviez pu voir la joie que m’a fait votre dernière lettre et combien je suis aise de voir que vous n’êtes pas mécontente de moi ! Vous pouvez être persuadée que je ne serai jamais heureuse, ma chère maman, sans l’assurance de vous plaire. Je vous envoie ma mesure et celle de M. le Dauphin. La mienne a été prise sans souliers ni coiffure ; pour la sienne, [elle] l’a été avec des souliers fort plats, et on peut compter sa coiffure pour rien, étant très basse ; quoique je sois fort grandie, je ne suis point maigrie : pour M. le Dauphin, quoiqu’il soit fort hâlé par le grand air, son teint s’éclaircit et sa santé se fortifie ; il est tous les jours plus aimable et il ne manque plus à mon bonheur que d’être dans le cas de la Reine ; je l’espère bientôt.

Quand je vous écris, ma chère maman, sur la Du Barry, c’est à cœur ouvert et vous pouvez croire que je suis trop prudente pour en parler sur le même ton avec les gens d’ici.

La comtesse de Provence est revenue puis huit jours avec nous ; elle n’est point marquée et presque pas rouge. On dit toute sorte d’horreurs de son mari contre M. de Choiseul[1] ; mais je suis convaincue du contraire, et nous continuons à vivre tous très bien ensemble.

Quoique le carnaval est fort long, il a déjà commencé ici dès le mois d’octobre, et nous dansons toutes les semaines une fois chez moi.

J’étais aujourd’hui au tiré de M. le Dauphin ; il tire à merveille et avec beaucoup de prudence ; il a tué une quarantaine de pièces ; cela prouve bien qu’il n’a pas la vue aussi basse qu’on le croirait à le voir. Je suis bien enchantée que vous ayez toujours de bonnes nouvelles de Milan[2] ; ma nouvelle belle-sœur ne peut me donner que de la jalousie sur le mariage. Quoique je sois fort contente ici, j’envie le bonheur qu’a ma sœur Marie[3] de vous voir souvent ; j’ose dire que j’en serais aussi digne par la respectueuse et vive tendresse que j’ai pour ma chère maman.

Antoinette

(Autographe signé, Archives impériales d’Autriche. Éd. Arneth, l. c., p. 56 ; Arneth et Geffroy, l. c., I, 248.)

  1. Le comte de Provence avait écrit au Roi pour demander la charge de colonel-général des Suissesq u’avait le duc de Choiseul. Il y avait là tout un réseau d’intrigues, racontées par Besenval, contre l’ancien ministre, et le jeune prince s’était fait l’instrument de cette cabale. Le Roi fit en effet demander au duc de Choiseul sa démission ; le duc l’envoya sans conditions : mais l’effet produit dans le public avait été si mauvais, que le comte de Provence n’osa plus revendiquer l’héritage ; la place fut donnée au comte d’Artois.
  2. L’archiduc Ferdinand était alors gouverneur de Milan.
  3. Marie-Christine, sœur aînée de Marie-Antoinette : née le 13 mai 1742, mariée en 1766 au prince Albert de Saxe-Teschen, morte le 24 juin 1798. Marie-Christine devint, en 1781, gouvernante des Pays-Bas. Il y avait entre elle et Marie-Antoinette peu de sympathie.