Lettres de Marie-Antoinette/Tome I/Lettre X

Lettres de Marie-Antoinette, Texte établi par Maxime de La Rocheterie [1837-1917], Alphonse Picard et FilsTome I (p. 23-25).

X.

À l’Impératrice Marie-Thérèse.
1771, 15 novembre

Madame ma chère mère, je suis bien touchée de tout ce que vous voulez bien me marquer sur le jour de ma naissance. Je désire surtout de mettre à profit les bons avis que vous me donnez, ma chère maman. La lettre de mon frère m’a fait un plaisir que je ne puis dire ; il me semble que je l’en aime davantage ; ce sera sûrement un bon mari, qui fera le bonheur de sa femme. Je ne crois point avoir mal fait en me laissant aller au premier mouvement qui m’a fait dire le petit secret à M. le Dauphin. Je n’avais pas le ton de reproche, il était pourtant un peu embarrassé. J’ai toujours bonne espérance ; il m’aime beaucoup et fait tout ce que je veux, et finira tout lorsqu’il aura moins d’embarras.

Je puis bien vous assurer que, quoique je vous aie montré vivement ma sensibilité, ce n’était que de la sensibilité. On me laisse assez tranquille sur cet article ; les amies et amis de cette créature n’ont pas à se plaindre que je les traite mal.

Quand je vous ai écrit, ma chère maman, que je ne prenais pas d’avis pour l’honnêteté, je voulais dire que je n’avais pas consulté mes tantes. Quelque amitié que j’aie pour elles, je n’en ferai jamais de comparaison avec ma tendre et respectable mère ; je ne crois pas m’aveugler sur leurs défauts, mais je crois qu’on vous les exagère beaucoup[1].

Quoique l’état de la Reine[2] me fasse penser souvent au mien, je n’en partage pas moins la joie de ma chère sœur.

Depuis l’été les voyages et les chasses m’ont empêchée de faire des lectures suivies ; j’ai pourtant lu presque tous les jours quelque chose.

La petite vérole de la comtesse de Provence s’est passée à merveille ; elle ne sera presque point marquée. Je l’ai vue, avant qu’elle partit pour la Muette[3], avec le consentement du Roi et de M. le Dauphin. J’oublie encore la prière que m’a fait l’abbé de le mettre aux pieds de Votre Majesté. Je ne puis vous dire, ma chère maman, combien je désire et j’espère vous donner autant de satisfaction que mon frère et ma soeur : c’est ce dont vous assure de toute son âme

Antoinette

(Autographe signé, Archives impériales d’Autriche. Éd. Arneth, l.c., p.54 ; Arneth et Geffroy, l. c., I, 236.)

  1. Ces mots répondent à un passage sévère de la lettre de Marie-Thérèse du 31 octobre : « Ce qui m’a fait de la peine, c’est le silence entier sur le chapitre de vos tantes…. Est-ce que mes conseils, ma tendresse méritent moins de retour que la leur ? J’avoue, cette réflexion me perce le cœur. Comparez quel rôle, quelle approbation ont-elles eus dans ce monde ? Et, cela me coûte à dire, quel est-ce que j’ai joué ? Tous devez donc me croire de préférence, quand je vous préviens ou conseille le contraire de ce qu’elles font. Je ne me compare nullement avec ces princesses respectables, que j’estime sur leur intérieur et qualités solides ; mais je dois répéter toujours qu’elles ne se sont fait ni estimer du public ni aimer dans leur particulier. À force de bonté et coutume de se laisser gouverner par quelques-uns, elles se sont rendues odieuses, désagréables et ennuyées pour elles-mêmes, et l’objet des cabales et tracasseries. Je vous vois prendre le même train et je dois me taire ? Je vous aime trop pour le pouvoir ou le vouloir. » Marie-Thérèse à Marie-Antoinette,31 octobre 1771. Correspondance secrète, I, 235.
  2. La reine de Naples.
  3. Château royal aux portes de Paris.