Lettres de Fadette/Troisième série/43

Imprimé au « Devoir » (Troisième sériep. 115-117).

XLIII

Les écoles d’Ontario


C’est dimanche, et je vous écris dans l’inquiétude de ce qui se passera demain à Ottawa. Lentement, logiquement, les événements se sont déroulés jusqu’à cette crise tragique, et des jeunes filles, des femmes souffriront pour une cause de laquelle nous nous sommes peut-être trop désintéressées, ici, endormies dans la sécurité que nous pensions acquise pour toujours.

Cette sécurité était faite en partie de notre impuissance à croire à tant de mesquinerie et d’injustice des gouvernants d’Ontario, qui, lâchement, veulent écraser les petits et les faibles, ou du moins, ceux qu’ils jugent tels. Tant pis pour eux, les gouvernants ! Ils y perdent notre estime et leur prestige et nous n’y perdrons rien, puisque nous ne céderons pas.

Les Français d’Ontario, conscients de leur droit, attachés à leur langue, les défendent contre tous et contre tout, dans une révolte que partage tout Canadien-français digne de ce nom.

Il me semble que les femmes de la province de Québec ont été lentes à s’éveiller à la réalité du drame qui se joue dans l’Ontario, et que les luttes de ces trois dernières années les ont laissées indifférentes. Il y a de brillantes exceptions que je me dispense de nommer : comme moi vous les connaissez et vous les admirez. Mais, en général, peu de femmes ont été au courant des événements qui préparaient la crise actuelle, et celles qui savaient ne comprenaient pas très bien, peut-être, que notre vie française qui est notre vie nationale, notre vraie vie, était en jeu.

Mais rien ne vaut les leçons en action, et la vaillance et le patriotisme des Français de l’Ontario ouvriront les yeux des Françaises du Québec, et toutes ensemble, animées du même esprit, nous ferons ce qu’il faut pour demeurer français dans l’Ontario où l’on nous persécute, et dans le Québec, où nous glissions mollement aux concessions dangereuses. L’une d’elles, c’est notre facilité à parler l’anglais de préférence au français quand ce n’est pas nécessaire.

Certes, il faut apprendre l’anglais et le bien parler, quand ce ne serait que pour prouver notre supériorité sur les Anglais incapables d’apprendre le français et qui s’en excusent en prétendant que nous ne parlons pas le français de France !

Ne nous gênons pas pour leur dire que leur ignorance seule peut leur faire débiter de pareilles inepties, mais ayons la sincérité de reconnaître que nous sommes souvent inexcusables de n’être pas plus soigneux de notre langage et que certaines de nos négligences et de nos ignorances sont coupables.

N’est-ce pas révoltant ! Pendant que le sang canadien-français coule sur les champs de bataille anglais, les Anglais fanatiques empêchent les enfants de ces braves soldats d’apprendre le français dans leurs propres écoles.

Il n’y avait vraiment rien à faire qu’à résister : ce ne sera pas la première fois, ni la dernière !

Dans cette résistance, apportons aux Canadiens d’Ontario notre sympathie et notre conviction et qu’ils sentent que nous leur sommes étroitement unis ! Et la communion une fois établie produira des vibrations puissantes qui soulèveront les opinions larges et généreuses et feront tomber tous les obstacles.