Lettres de Fadette/Troisième série/41

Imprimé au « Devoir » (Troisième sériep. 110-113).


XLI

Nous changeons…


Nous serions bien surpris, si au bout de chaque année nous pouvions voir distinctement ce que nous ont appris ces douze mois… et qui sait, si, au bout de dix ans, nous reconnaîtrions notre âme tant elle a évolué et parfois s’est transformée. Mais nous réfléchissons si peu que nous ne savons pas de quelle manière elle a subi l’enseignement quotidien de la vie, la leçon des choses vues et comparées, l’exemple des existences coudoyées, l’influence si puissante des grandes affections, l’impitoyable morale du temps qui va, sans arrêt, au milieu de nos joies et de nos détresses.

Non, nous nous croyons toujours les mêmes, surtout si la vie, nous emportant dans son tourbillon, nous a enlevé le loisir et la curiosité de tourner nos yeux en dedans. Cependant nous sommes autres. Meilleurs ? Quelquefois, la souffrance affine une âme et vit-on dix ans sans souffrir ?… Pires ?… oui, si nous ne sommes pas meilleurs : la douleur qui n’élève pas l’âme la rétrécit et la durcit.

Mais, puisque nous nous modifions tant sans le vouloir, sans même le savoir, de quelles transformations morales ne serions-nous pas capables consciemment et volontairement ? Cela ne vous ouvre-t-il pas des horizons infinis ?

Quand nous sommes las et tristes, et très souvent, parce que nous créons en nous la fatigue et les chagrins, il est bon de pouvoir nous dire qu’il dépend de nous d’être plus intelligents, meilleurs et plus aptes au bonheur.

Je vous ai déjà exprimé le regret, que parmi tant de professeurs, il n’y eût pas de professeurs de joie pour apprendre aux aveugles de ce monde à voir les joies qu’ils dédaignent. Pourquoi ne serions-nous pas nos propres professeurs de joie ?

Nous le deviendrions en nous appliquant à ne laisser perdre autour de nous aucune parcelle de beauté et de bonté. Dieu en a mis partout, mais il faut avoir l’âme bien éveillée, bien vivante, pour les sentir et les deviner, et le bien, deviné chez ceux, quelquefois, que l’on était porté à dédaigner, c’est la plainte chétive mise au soleil qui retige et fleurit. Soyons attentifs… et au lieu de gémir : « La vie est triste, les hommes sont méchants ! … », efforçons-nous de faire la vie meilleure en découvrant la bonté cachée chez tous ! Beaucoup, beaucoup de femmes sont tristes parce que leur âme est vide… elles ont cessé d’aimer parce qu’elles sont désappointées, et leur tristesse les tue et tue aussi leur entourage ! Elles pourraient vivre pourtant et faire vivre aussi si elles le voulaient ! Leur cœur fragile qui paraît brisé se remplirait à nouveau d’un amour plus large, de charité qui s’épanouirait dans le dévouement vivant, au lieu de mourir lentement dans l’acceptation morne de devoirs détestés. Qu’elles y pensent, qu’elles méditent la parole du sage :

« Ô femmes ! Gardez-nous la beauté du monde ! »