Lettres de Fadette/Troisième série/30

Imprimé au « Devoir » (Troisième sériep. 80-83).

XXX

Parlez d’eux !


Eh bien, je les ai reçus les reproches attendus, devinés dans l’air ! On m’accuse d’être bien sévère pour les femmes et partiale pour les hommes… Étant donné qu’on vit dans l’illusion sur soi-même et sur les autres, je ne me doutais pas de cela ! Je me sens si indulgente pour nous, et je vois si clairement les défauts des hommes ! L’amie inconnue qui me critique, me somme de dire « honnêtement, sans parti-pris, en toute vérité », si je trouve les hommes supérieurs aux femmes, en quoi, et comment.

Ce qui veut dire, à qui sait lire une lettre féminine, qu’on s’attend à ce que je fasse ici un grand éloge des femmes ! Et j’aborde encore une fois le délicat problème discuté depuis si longtemps et qui ne sera jamais résolu sur cette planète.

Les hommes se croiront toujours supérieurs aux femmes qui ne l’admettront jamais.

Si, au moins, cette séculaire rivalité engendrait une émulation dans la course vers le bien intellectuel et moral, le monde serait transformé.

Il faut bien avouer que nous sommes loin de ces belles démonstrations !

Les hommes affirment bien haut leur supériorité, mais ils entendent que les femmes les croient sur parole, et ils ne s’inquiètent guère de prouver qu’ils sont plus sages, plus honnêtes et meilleurs. Ne voit-on pas, au contraire, que sentant en eux des lacunes du côté de la bonne volonté, ils ont établi deux morales et se sont réservé toutes les indulgences.

Ils parlent très bien de l’honnêteté, mais ils la pratiquent avec des restrictions : tel homme qui ne déroberait pas un sou à son voisin, lui prend sa femme sans scrupules !

Ils sont tous d’accord pour honnir l’ivrognerie dans ce qu’elle a de dégradant, mais combien s’y acheminent en s’alcoolisant insensiblement.

Ils se disent catholiques, mais ils n’en font les gestes que lorsque cela ne les dérange pas. Un peu de paresse le dimanche, et ils omettent la messe ; une invitation à dîner le vendredi et l’abstinence est mise de côté… Je ne continuerai pas à citer des exemples : nous voyons assez qu’ils ne se mettent pas beaucoup en peine d’accorder leur conduite avec leurs beaux discours.

On accuse la femme d’illogisme, il est cependant un point où elle est plus logique que l’homme : c’est dans l’application de ses principes « Encore faut-il qu’elle en ait », disent les malins.

C’est vrai. Mais les femmes qui n’ont pas de principes ne posent pas à la vertu. Elles auraient même honte qu’on les croie religieuses ou sages…

Et les honnêtes femmes ne transigent pas avec le mal, même quand ça ferait leur affaire : elles ne volent pas et elles ne sont pas coquettes ; elles ne boivent pas et n’encouragent pas à boire ; elles pratiquent leur religion scrupuleusement et n’omettent pas sans remords leurs obligations essentielles.

Je ne ferai qu’indiquer aussi les différences entre le dévouement et la charité des deux.

Les hommes souscrivent, souvent en bougonnant, aux bonnes œuvres qu’ils trouvent trop nombreuses ; les femmes y consacrent leur temps, leur travail et leur cœur. Elles sont inlassables et si ingénieuses pour intéresser et amuser les indifférences masculines !

Alors, la femme serait-elle supérieure à l’homme ? Moralement, elle a des supériorités sur lui ; intellectuellement, il en a sur elle, mais cela ne paraît pas toujours !

Moi, je trouve ces comparaisons idiotes et inutiles… et ce que je vois de plus clair dans tout ceci, c’est qu’hommes et femmes devraient mieux s’entendre puisqu’ils ne se passent pas les uns des autres !