Lettres de Fadette/Quatrième série/47

Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 132-134).

XLVII

Soir d’élections


Tristement nous disons : Tout va mal dans le monde ! Tout va mal dans le pays ! Et nos âmes ont des tentations de découragement ; n’y cédons pas, et les tenant bien éveillées et bien attentives, permettons-leur d’apercevoir les lueurs divines qui percent l’obscurité : elles nous disent d’espérer, que Dieu veille, et que par ses voies, que nous comprenons si peu, Il accomplit ses desseins.

Jérusalem rendue aux chrétiens, n’est-ce pas Jésus lui-même venant apporter au monde, en ce Noël de 1917, le grand pardon et l’espoir d’un renouveau mondial, où les âmes purifiées et grandies dans l’épreuve marcheront vers l’harmonie intellectuelle et morale ?

Le monde entier est dans la désolation, dans la haine et la rage, les peuples se massacrent, et il semble entendu que l’honneur des nations interdise les concessions, le pardon et l’accord. Et c’est au milieu de ce bouleversement, quand la situation paraît inextricable, que Jésus enlève, des mains des Turcs sa Jérusalem, où il se donnait tout entier pour la délivrance de l’humanité, et qu’il la rend enfin à ceux qui croient en Lui et qui font profession de suivre sa doctrine.

Ce grand geste divin qu’il faut voir, ne rapprochera-t-il pas les âmes des peuples comme les âmes des individus de Celui qui vient, encore et toujours, apporter au monde la paix et l’amour, avec la même autorité la même douleur grave avec lesquelles II proclamait les Béatitudes qui ouvrent le Paradis aux âmes douloureuses ?

… J’ai pensé longuement à ces choses et elles m’ont consolée, le soir des élections, quand le silence succéda aux appels de plus en plus inquiétants du téléphone.

La journée avait été anxieuse. Tout mon grand optimisme des jours précédents avait fait place à une agitation inquiète : dans le plus obscur de moi-même, je sentais que nous allions à la défaite. J’avais été envahie, heure par heure, d’un malaise subtil et grandissant. Vous comprenez n’est-ce pas, pour l’avoir éprouvé ? Ce qu’il y a au fond de nous d’inexplicable, d’informulé, de plus savant que nous-mêmes, connaissait ce qui allait s’accomplir et s’efforçait de me le confier, mais mon espoir luttait et il ne mourut qu’avec la lumière qui s’éteignait une fois. L’heure qui suivit fut amère pour tout le Canada français.

— C’est un tournant dans notre histoire, un moment solennel, où, masques levés, deux adversaires se regardent en face, et se lancent un défi.

Mais ce n’est pas l’heure des regrets, des défaillances, des lâches concessions, ce n’est pas même l’heure de la tristesse, mais celle de l’action commune et énergique pour lutter contre les forces coalisées contre nous. Comprenons bien que le découragement nous conduirait à l’affaiblissement et à la mort, et devant la lutte qui est faite à notre race, soyons forts et unis comme jamais nous ne le fûmes, puisque le danger est plus grand que jamais. Que notre âme française que nous avons trop souvent laissée sommeiller, hélas ! se réveille, qu’elle brûle et qu’elle rayonne afin de prouver à ceux qui nous ont calomniés et méconnus, qu’elle est un principe de vie, non seulement pour la province de Québec, mais pour toutes les provinces du pays. Plus nous la rendrons belle, cette âme française, plus nous la ferons ardente, intelligente, généreuse et énergique, plus elle sera française et plus sa puissance s’affirmera en dépit de tout.

La lutte n’est pas terminée, j’ai même l’impression profonde qu’elle ne fait que commencer.

Il faut voir cela, et chacun dans notre sphère, travailler à la victoire finale qui est assurée à toutes les causes justes.