Lettres de Fadette/Quatrième série/36

Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 101-103).

XXXVI

Redites


La pluie fouette les vitres, il fait si sombre que la lampe a été allumée tout l’après-midi : mon amie fait de la dentelle, je lis pour elle, et j’en suis à cette amusante définition : « il y a deux sortes de cœurs d’hommes : ceux qui ressemblent à la pêche dont l’extérieur est doux et velouté mais dont le noyau est dur comme la pierre ; et ceux qui ressemblent à la noix : apparemment impénétrables et durs, ils sont très bons quand on arrive à briser leur coquille… »

Je suis interrompue avec vivacité par mon amie dont les yeux jettent des éclairs : « et ceux qui sont durs d’un travers à l’autre, et ceux qui sont mous comme des éponges mouillées, et ceux qui sont élastiques comme du caoutchouc, et ceux qui ont l’âme racornie comme des pruneaux secs, et ceux qui sont gonflés d’orgueil comme des ballons rouges, et… ! »

Elle s’arrête pour reprendre le souffle : — « Vous semblez connaître toute une collection de vilaines espèces… fis-je, mais il y a les autres ! — Oui, je sais : vous croyez ça, vous ! »

Elle ne riait plus : ses yeux étaient tristes et sa bouche amère.

J’admets que si l’on croit sincèrement que les hommes sont des monstres, cela suffise à rendre triste et amer, mais je pense que c’est dommage de gâter sa vie et son caractère en cultivant cette croyance.

Ils ne sont pas parfaits, c’est entendu, mais les femmes se flatteraient-elles d’être sans défauts ? Si elles entendaient leur meilleure amie parler d’elles en leur absence, elles sauraient à quoi s’en tenir sur le chapitre de leurs perfections.

Au fond, il s’agit moins d’être parfait que d’être aimable et de vouloir trouver les autres aimables, c’est-à-dire d’être bienveillant pour tous, et indulgent pour ceux qui se trompent. N’ayons donc pas peur de faire crédit aux autres, nous aurons à notre tour besoin d’indulgence : il est rare que ceux qui critiquent tout le monde ne soient pas jugés sévèrement, et c’est justice.

La plus élémentaire sagesse devrait nous porter à nous rendre compte de nos propres défauts, et de ce qui, en nous, peut déplaire et empêcher nos critiques et nos conseils de porter des fruits. De fréquents sondages dans nos propres âmes développent en nous le sens de la relativité des choses si utile dans nos relations de famille ou de société.

Les femmes les plus heureuses ne sont pas celles qui subissent leur vie, mais celles qui l’acceptent, et les femmes les plus aimées ne sont pas celles qui endurent les hommes, mais celles qui les comprennent.

Tout cela n’est pas bien neuf : d’autres l’ont dit avant moi, d’autres l’écriront après moi, mais la preuve que ces vérités peuvent être redites utilement, c’est que les femmes et les hommes continuent à se plaindre les uns des autres, et à se dénigrer malicieusement sans cesser d’ailleurs de faire des frais d’amabilité et de coquetterie les uns pour les autres.

Oui ! Voilà l’illogisme humain. Il n’est dépassé que par l’illogisme féminin de celles qui disent pis que pendre des hommes, mais sont tout miel et tout sourire en leur présence, recherchent leur admiration et leur compagnie, en continuant à crier, entre temps, qu’ils sont détestables, et qu’elles n’ont aucune confiance en eux.