Lettres de Fadette/Quatrième série/15

Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 41-43).

XV

Les perles


Une perle, dit la poésie orientale, c’est une goutte de rosée solidifiée, c’est une larme imbibée d’un rayon de soleil.

Cela semble faire venir de bien loin le préjugé qui fait regarder les perles comme un sinistre présage, comme un cadeau de mauvais augure.

Pourquoi cette signification a-t-elle dominé quand il y en a tant d’autres ? Les perles, dans l’Évangile, sont présentées, là, comme emblèmes des choses saintes, ici, comme emblèmes du bonheur éternel : « Un homme cherche des perles, de bonnes perles. Il en trouve une, il reconnaît qu’elle est bonne, qu’elle est précieuse ; il s’en va, il vend tout ce qu’il possède et il l’achète… et il ne l’a pas payée trop cher, car la perle précieuse c’est le ciel, c’est Dieu même… »

« Et le vrai prix de cette perle, dit saint Augustin en commentant ce texte, ce n’est pas seulement tout ce que nous possédons, c’est nous-mêmes : car c’est seulement quand on s’est donné soi-même, qu’on ne peut pas donner plus. »

Il est étrange que malgré leur éclat chatoyant, leur grâce, leur beauté délicate et fine, on hésite tant à donner des perles à une fiancée.

Elles sont des symboles de larmes… mais est-il besoin d’une bague ou d’un collier de perles, pour présager que la fiancée pleurera dans sa vie nouvelle ? Vous le savez bien, vous tous qui vous obstinez à lui chanter l’éternel mensonge. Donnez-lui des perles, et laissez-lui soupçonner les larmes possibles, donnez-lui des perles, car elles sont aussi un symbole de pureté par leur blancheur, leur éclat translucide, leur facilité à s’altérer et les précautions qu’exige leur parfaite conservation. En donnant à la petite fiancée des perles blanches et douces comme elle, ne lui laissez pas trop ignorer la réalité vers laquelle elle marche, les yeux bandés et le cœur joyeux. Dites-lui d’être heureuse, parce qu’elle aime, mais dites-lui d’être forte parce que toute sa noblesse, toute sa grandeur consistera dans l’acceptation Simple de sa vie telle que Dieu la veut, et Dieu la veut, bien souvent, hélas ! remplie de larmes, et il faut croire que les larmes ennoblissent les vies et embellissent les âmes.

Il faut bien le croire, puisque les femmes qui n’ont pas pleuré ne sont ni bonnes, ni indulgentes, ni compatissantes comme celles qui ont souffert. N’ayons pas peur, pour les petites fiancées que nous aimons, des larmes qui feront d’elles des mères dont la tendresse est inépuisable, et des femmes qui savent tout comprendre. Et donnons-leur des perles, et souhaitons que leurs larmes ressemblent à des perles, et que, suivant la définition orientale, elles soient imbibées d’un rayon de soleil.