Lettres de Fadette/Deuxième série/24

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 62-64).

XXIV

De retour !


Non, voyez-vous, pour demeurer volontiers en ville quand vient la fin d’avril, il ne faut pas avoir commis l’imprudence d’aller goûter le printemps dans les bois !

D’avoir vu le soleil caresser les bourgeons frêles, d’avoir entendu chanter les grives et bavarder les corneilles, cela dégoûte des tramways, des autos empestés, de la foule courante, et la tentation de partir définitivement m’a saisie, emportée si vite, que me voici rendue ici sans avoir eu le temps d’y penser !

« Ici », c’est dans une grande vieille maison, un peu en désordre pour le moment, mais par toutes les fenêtres ouvertes entrent des flots de soleil, des gazouillis d’oiseaux, un petit vent frisquet parfumé de senteurs vagues et exquises. Que je vous plains, mes amis de la ville !

Vous ne viendrez à la campagne que lorsque tout sera reverdi et fleuri : ce sera l’été. Moi, j’assisterai aux fêtes du printemps : je regarderai les feuilles se déplier, les bourgeons gonfler et éclater, les oiseaux bâtir leurs nids, la terre brune fumer au grand soleil quand elle aura été retournée par la charrue.

Et quand la pluie vous désolera dans la ville boueuse, moi, je la bénirai, et ce sera si joli de la voir reverdir les gazons et fleurir les lilas !

J’arrive à l’époque du « Breda » ! Mes voisines sont très affairées. Les maisons se vident. Dehors les matelas, les tapis et les meubles ! Tout est brossé, battu, secoué, peint, vernis ! C’est une débauche de propreté, et les ménagères se démènent avec un entrain contagieux.

C’est qu’il s’agit de ne pas lambiner… le jardin attend : il faut le bêcher, le semer, le planter, tirer les allées au cordeau, tailler les haies. Aussi, la bourgeoise gronde si les jeunesses, grisées par le printemps qui leur fait de l’œil, ne portent pas à ce remue-ménage tout l’intérêt qu’il faudrait.

Je les laisse à leurs occupations et je me promène. Par le chemin qui monte, j’ai marché jusqu’au petit lac où les nuages pressés se mirent en passant. Les érables autour sont déjà tout roses et les vieux pins ont un air rajeuni : le vent, qui les traverse, chante en me voyant la petite complainte que j’aime… c’est bon d’être là encore, comme l’année dernière, comme les années précédentes, depuis toujours, presque !

La douceur du décor familier me pénètre de douceur : j’oublie là les faux décors de la grande comédie humaine, où, trop souvent, hélas, je joue avec ennui mon petit personnage. Devant l’insaisissable infini, je sens profondément que lui seul est réel et que nous sommes fous de l’oublier.

Plus et mieux que jamais, je comprends qu’une seule chose importe : « Laisser grandir son âme et y habiter ».