Lettres de Fadette/Deuxième série/25

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 64-67).

XXV

La maison fermée


Loin du chemin, presque appuyée sur les deux gros pins qui lui servent de dossier, la petite maison fermée se dresse muette, sans regards, sans vie… et pourtant non ! fermée et muette, soit, mais tragique et vivante, elle a une âme que l’on sent encore vibrer de sanglots. C’est qu’elle a contenu d’inexprimables douleurs, la petite maison qui avait été installée avec tant de sollicitude aimante pour recevoir le jeune couple qui semblait l’incarnation du bonheur humain.

Six mois d’un bonheur très doux, puis une chute fatale du jeune homme causa une lésion grave du cerveau : il flotta entre la vie et la mort : il ne mourut pas ; ce fut pire, il perdit la raison et il fallut l’emmener un jour, car la jeune femme allait accoucher. Elle mourut, en donnant naissance à un petit être frêle qui s’éteignit aussi, peu après. Et l’on ferma la maison.

Toute leur histoire tient dans ces quelques lignes ! Leur grand bonheur et leur grand malheur a tenu aussi dans si peu de jours et dans si peu d’espace ! Et tout cela, on le sent quand on passe devant la maison fermée. À l’écart des autres, dans le mystère des grands arbres qui la couvrent de leur ombre, elle a bien la tenue discrète, l’attitude douloureuse et farouchement silencieuse de la jeune femme dont le cœur a saigné, là, jusqu’à en mourir.

Ce beau printemps me rappelle le jour de leur mariage. Ils étaient radieux et beaux, on avait envie de joindre les mains devant leur extase. Et après un an, il ne reste d’eux que le souvenir enfermé dans la maison close où ils ont tant aimé et tant souffert.

Ce souvenir est plus poignant dans ce renouveau du printemps qui ressuscite les choses mortes et laisse dormir les pauvres morts ! Hier, je m’arrêtai émue devant la maison : un couple d’amoureux passait… le rire clair de la jeune fille me remplit les yeux de larmes. Je pleurais sur l’autre que j’ai connue, et sur celle-ci que je ne connais pas ! Je pleurais sur notre aveuglement et notre ignorance à tous.

Je suivais des yeux ces jeunes qui s’en allaient dans la lumière, interrogeant l’avenir et l’appelant dans un désir éperdu d’être plus heureux encore.

Et le bonheur qu’ils rêvent les empêche probablement d’apprécier à sa valeur celui qu’ils tiennent ; et ils comptent pour rien, ou si peu, d’être jeunes, amoureux, de croire à la vie et au bonheur, parce qu’ils ne veulent penser qu’à demain, ce demain qui peut être la mort de leur belle confiance, ou la fin de leur vie !

Et c’est l’Humanité entière qui marche ainsi, pressée, mécontente du présent, inquiète, tendant les bras vers un lendemain chimérique et dédaignant l’aujourd’hui lumineux et serein.

Et il fallait peut-être qu’il en fût ainsi, afin que, leurrés par l’appel du lendemain, nous allions inlassables, d’un espoir à un désappointement, d’une joie à un deuil, toujours confiants dans un avenir que nous atteignons pour en appeler un autre qui semble préférable. Et la vie se passe dans cette hâte vers le demain qui est la mort… la mort prochaine ou éloignée, mais la mort inévitable. Nous sommes fous !