Lettres de Fadette/Deuxième série/17

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 44-46).

XVII

À la « cabane »


Dès le petit printemps, une Fadette aussi canadienne que votre amie, a la nostalgie du bois, de la « cabane », des allées et venues dans l’érablière, à la musique de l’eau d’érable tombant goutte à goutte dans les longues chaudières brillantes et vides.

Pendant quelques jours, elle a lutté, contre ce désir d’aller « aux sucres », mais voilà qu’on en parle trop ; les journaux mêmes racontent que les érables coulent tant et plus, et que l’activité est grande dans les bois. Tous les matins, la gelée blanche poudrant les toits et les gazons et fondant au soleil frisquet, lui raconte la même histoire, et un beau jour, elle n’y tient plus, elle part… Hélas, elle en est déjà revenue !

C’est encore plus exquis que mon souvenir, plus charmant que mon rêve ! Croiriez-vous que j’ai trouvé le vrai printemps, sans dégel et sans boue, dans le bois encore tapissé des feuilles de l’automne dernier ? Un soupçon de vert anime les arbres nus ; j’ai vu des pousses minuscules aux branches des sapins ; le ruisseau, débarrassé de sa robe de glace, gonflé et bruyant, court comme un fou entre les rives brunes. Bien à l’abri, j’ai découvert de petites jonchées de mousse, d’un vert si tendre, si velouté, que j’aurais voulu les caresser pour les remercier de reverdir !

Et tout autour, c’est la vie qui frémit, ondoie, bruit en rumeurs subtiles, en frissons tièdes, en gazouillis d’oiseaux qui se répondent, et il me semble que je recouvre ma liberté et que moi aussi je recommence à vivre !

Le père Béchard nous attendait : de loin, nous avions vu la fumée, qui ornait d’un panache moelleux la cabane, sur le seuil de laquelle il nous guettait en surveillant ses bouilloires.

La mère Béchard, sa fille, ses petits garçons accourent aussi nous souhaiter la bienvenue, et nous nous racontons toutes nos petites nouvelles de ces six mois.

Puis nous voilà à vagabonder comme de vrais sauvages, grisés par les parfums de la forêt, par les lointains transparents et le ciel si bleu, sur lequel les branches se découpent nettement comme dessinées à l’encre de Chine.

Je retourne près du ruisseau qui coule à pleins bords, charriant encore des morceaux de glace, et l’air y est frais, léger !

À la Cabane, où nous sommes rappelés par une grosse cloche, le père Béchard retire son sirop, pendant que la vieille prépare des omelettes au lard, de la tire, de la « trempette », des crêpes dorées, et elle me gronde de n’être pas venue quand il y avait encore de la neige… je serai privée de « toques » ! Je la console en l’assurant que j’aime mieux manger du printemps !

Nous déjeûnons dehors et nous dévorons comme des loups affamés par l’hiver.

Mais cela finit par finir, hélas ! Je me console de mon retour en vous racontant cette journée délicieuse, ce plongement de la rustique Fadette dans son élément où elle voudrait vivre toujours.