Lettres de Fadette/Deuxième série/18

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 47-49).

XVIII

Mariages de Pâques


Bientôt Pâques, les jolis soleils d’avril, les mariages… je pense à toutes les petites fiancées frémissantes d’un bonheur profond, ou agitées de vanités puériles durant ces jours augustes de la Semaine Sainte qui n’ont pour elles qu’une signification : ils les rapprochent de ce mariage qu’elles voient venir dans la joie confiante d’un cœur qui ne croit pas à la possibilité d’un malheur qui toucherait à « eux deux ».

Combien de temps durera ce beau bonheur ? Si les jeunes épousées savaient qu’elles ont le pouvoir de formuler à leur gré la réponse à cette question… que c’est dans leurs petites mains qu’elles peuvent retenir l’oiseau farouche toujours prêt à s’envoler…

Hélas, la plupart de ces jeunes filles ne sentent pas encore leurs âmes. Elles ont vécu sans se connaître elles-mêmes, sans soupçonner les réalités de la vie : elles vont au mariage comme à une fête perpétuelle.

Demain elles vont commencer une vie au jour le jour, dans le banal à peu près d’une intimité conjugale faite d’habitude et non de sympathie compréhensive et profonde. Chacun ne songera qu’à jouir le plus possible de la vie matérielle avec toutes ses commodités et ses plaisirs.

Et ils iront ainsi quelques mois, peut-être deux ou trois ans, avec l’illusion d’un bonheur qui n’est qu’un leurre, d’une confiance qui les laisse étrangers l’un à l’autre, d’un amour qui ne sait ni s’oublier, ni partager, et un jour viendra où l’âme de la jeune femme s’éveillera dans la souffrance, ses illusions se dissiperont comme les voiles de brume que traverse le soleil.

Elle verra qu’elle s’est amusée avec des marionnettes, qu’elle a marché à la clarté d’une étoile illusoire, que sa joie était une fumée, et inquiète, elle se retournera pour saisir la main de son compagnon… mais il est loin d’elle ! Ses affaires et ses plaisirs l’absorbent ; elle essaie de le rapprocher d’elle, de lui faire comprendre qu’elle n’est plus une petite fille chimérique, mais une femme qui a besoin d’être comprise et aimée fortement…

Autant lui parler hindou : « N’est-il pas bon pour elle ? Ne lui donne-t-il pas autant d’argent qu’elle en désire ? De quoi se plaint-elle ? »

C’est fini ! Ils ne parlent plus la même langue… elle se sentira toujours seule et faible et elle regrettera amèrement ce qui aurait pu être.

Je voudrais dire à toutes les petites mariées de demain : ayez moins de dentelles et plus de psychologie : n’ayez qu’un souci en tête : devenir l’amie de votre mari, et pour cela conquérir sa confiance : ce n’est quelquefois possible qu’en donnant goutte à goutte tout le sang de votre cœur. Qu’importe, si vous devenez l’âme de son âme et la vie de sa vie ? Qu’importe, si sa confiance vient à vous si magnifique, si inébranlable, qu’il la trouverait encore au fond de son cœur, même s’il arrivait à ne plus mériter la vôtre ?

Vous défierez le malheur, il n’y en aura pas d’irréparable, si vous ne faites avec lui qu’un seul cœur, si vous partagez ses sentiments et ses pensées, si vous êtes la confidente de ses désirs et de ses peines, mais pour cela gagnez sa confiance et commencez tout de suite à la mériter par votre dévouement, votre loyauté parfaite, votre courage, le don absolu de vous-même qui ne recule pas devant le devoir et le sacrifice.

Gagnez sa confiance, car il a besoin d’une affection vivifiante, d’une main amie pour le soutenir, d’un abri où se recueille sa pensée, d’un nid chaud où pouvoir réfugier son cœur. C’est en vous, sa femme, qu’il doit trouver cela ; si vous lui faites défaut, il cherchera ailleurs… pensez-y !