(1p. 117-118).

XL

Dimanche soir, janvier 1843.

Pour moi, je n’étais pas trop fatigué, et cependant, en regardant sur la carte nos pérégrinations, je vois que nous aurions dû l’être tous les deux. C’est que le bonheur me donne des forces ; à vous, il vous les ôte. Wer besser liebt ? J’ai dîné en ville et je suis allé à un raout après. Je ne me suis endormi que très-tard, pensant à notre promenade.

Vous avez raison de dire que c’était un rêve. Mais n’est-ce pas un grand bonheur de pouvoir rêver quand on le veut bien ? Puisque vous êtes dictatrice, c’est à vous de dire quand vous voudrez recommencer. Vous dites que nous n’avons pas eu de procédés l’un pour l’autre. Je ne comprends pas. Est-ce parce que je vous ai trop fait marcher ? Mais comment pouvions-nous faire autrement ? Moi, je suis très-content de vos procédés, et je les louerais davantage si je n’avais peur que les éloges ne vous rendissent moins aimable à l’avenir. Quant aux follies, n’y songez plus, c’est devenu une charte. Lorsque vous trouvez à redire à quelque chose, demandez-vous si vous préféreriez really truly le contraire ? J’aimerais que vous me répondissiez franchement à cette question. Mais la franchise n’est pas trop parmi vos qualités les plus apparentes. Vous vous êtes moquée de moi, et vous avez pris pour un mauvais compliment ce que je vous ai dit un jour de cette envie de dormir, ou plutôt de cette torpeur qu’on éprouve quelquefois lorsqu’on se sent trop heureux pour trouver des mots qui puissent exprimer ce que l’on éprouve. J’ai bien remarqué hier que vous étiez sous l’influence de ce sommeil-là, qui vaut bien toutes les veilles. J’aurais pu vous reprocher à mon tour vos reproches ; mais j’étais trop content intérieurement pour troubler mon bonheur.

Adieu, chère amie ; à bientôt, j’espère.