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CL

Marseille, 12 septembre 1852.
 

Je suis allé en Touraine, où j’ai visité Chambord par une pluie battante et Saint-Aignan par une pluie intermittente. Je suis rentré à Paris le 7 par la pluie, reparti le même jour au milieu d’un orage et j’ai descendu le Rhône par un brouillard à couper au couteau. C’est seulement dans la Canebière que j’ai retrouvé le soleil ; depuis deux jours, il brille dans toute sa gloire. J’y ai trouvé (à Marseille, et non dans le soleil) mon cousin et sa femme, que j’ai embarqués hier sur le Léonidas par une mer d’un bleu céleste, sans une vague, et un temps ni froid ni chaud dont vous n’avez nulle idée en vos tristes pays du Nord. Ce sont les seuls parents qui me restent, et les propriétaires de ce salon que vous avez daigné honorer de votre approbation. Je me suis senti pris d’un isolement bien triste lorsque j’ai vu le panache de fumée du Léonidas disparaître derrière les îles que vous connaissez par la description de Monte-Cristo. Je me suis senti vieux et ganache. J’aurais eu besoin de votre présence et j’ai pensé combien vous vous seriez amusée en ce pays qui me paraît si maussade. Je vous y ferais manger des fruits de vingt espèces différentes qui vous sont inconnues ; par exemple, des pêches jaunes et des melons blancs et rouges, des azeroles et des pistaches fraîches. Outre cela, vous passeriez votre journée dans des boutiques de curiosités turques et autres, où il y a les inutilités les plus agréables à voir et les plus désagréables à payer. Je me suis demandé souvent pourquoi vous ne faites pas un voyage dans le Midi, et je ne trouve pas de bonnes raisons contre. Je vais courir les montagnes pendant trois jours, tout seul, sans pouvoir échanger une pensée avec un bipède parlant français. Je ne sais, après tout, si cela ne vaut pas mieux que d’avoir affaire aux provinciaux des villes ; chaque année, il me semble qu’ils deviennent plus intolérables. Ici, maires et préfets ont la tête perdue de l’arrivée du président ; on blanchit toutes les préfectures, on met des aigles partout où il en peut tenir. Il n’y a pas de niaiseries qu’on n’imagine ; quel drôle de peuple ! Au milieu de tout cela, je crains bien que les épreuves de Démétrius ne se perdent ; car je dois les corriger en route et elles ne m’arrivent pas.