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CLI

Moulins, 27 septembre 1852.
 

J’ai été fort malade et je suis encore assez faible, d’autant plus que le remède qui m’a tiré d’affaire, c’est-à-dire le mistral ou le vent du Nord, m’a donné un rhume qui me fatigue fort et qui ne se guérit pas par les nuits blanches et les courses continuelles. J’ai été, pendant quarante-cinq heures, avec une disposition à la congestion cérébrale telle, que je croyais que j’allais voir le royaume des ombres. J’étais absolument seul, et je me suis traité moi-même ou plutôt je ne me suis pas traité du tout, car j’étais dans un état de prostration physique et moral qui me rendait la moindre excursion horriblement pénible. Je sentais bien quelque ennui de passer dans un monde inconnu ; mais ce qui me semblait encore plus ennuyeux, c’était de faire de la résistance. C’est par cette résignation brute, je crois, qu’on quitte ce monde, non pas parce que le mal vous accable, mais parce qu’on est devenu indifférent à tout, et qu’on ne se défend plus. J’attends ici qu’un monsignore à qui j’ai affaire sorte de retraite. Très-probablement j’aurai pour deux ou trois jours à courir d’après ses indications, puis je reviendrai à Paris. C’est demain mon jour de naissance, que j’aurais voulu passer avec vous. Il se trouve que je suis toujours seul ce jour-là et d’une tristesse abominable.