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CXVIII

Soissons, 10 octobre 1846.

Il paraît que vous avez été de bien mauvaise humeur samedi dernier ; mais enfin vous avez repris votre sérénité dimanche, sauf quelques petits nuages qui flottent encore dans votre lettre. Pour suivre la métaphore, je voudrais bien un jour vous voir au beau fixe, sans qu’il y eût des tempêtes auparavant. Malheureusement, c’est une habitude que vous avez prise. Nous nous séparons presque toujours meilleurs amis que nous ne nous sommes vus. Tâchons donc d’avoir, un de ces jours, l’amabilité continue que j’ai rêvée quelquefois. Il me semble que nous nous en trouverions bien l’un et l’autre. Vous me faites des menaces pour le seul plaisir de m’ôter les consolations de l’espérance. Vous sentez si bien votre tort, que vous me dites que vous êtes dispensée de loyauté à l’égard d’une certaine promesse que vous m’avez faite déjà une fois et que vous ne voulez pas tenir. N’est-ce pas un effet du hasard seul qui vous a permis de dire que vous aviez accompli cette promesse ? Vous ne vouliez me voir que pendant un quart d’heure ; ainsi, il y avait de votre part trahison méditée. Je sais ce que vous pensez vous-même de ces subterfuges-là, et je m’en rapporte à votre propre jugement. Vous pouvez me faire beaucoup de plaisir ou beaucoup de peine ; c’est à vous de choisir.

Le temps affreux qui me m’a pas quitté depuis samedi est sans doute celui que vous avez à Paris. Le seul chagrin qu’il me fasse, c’est que je pense à mes bois, dont le vent enlève les feuilles, à mes gazons, que la pluie inonde, et à l’éloignement de notre prochaine promenade. Hier, au milieu des champs, par un vrai déluge, je ne pensais pas à autre chose. Et vous, regrettez-vous la pluie à cause de moi, ou bien parce qu’elle vous empêche d’aller à shopping à votre ordinaire ?

Quel jour étiez-vous à l’Opéra italien ?

Était-ce jeudi par hasard, et aurions-nous été tout près l’un de l’autre sans nous en douter ? J’aurais bien voulu vous voir un peu avec votre cour, pour savoir si vous êtes pour le monde telle que je le voudrais.

J’espère être à Paris jeudi soir ou vendredi au plus tard. S’il fait beau samedi, voulez-vous faire une longue promenade ? Dans le cas contraire, nous en ferons une courte, ou nous irons au Musée. La mémoire de ces promenades est à la fois un plaisir et une douleur. C’est pour moi une sensation qu’il faut renouveler sans cesse pour qu’elle ne devienne pas triste. Adieu, chère amie ; je vous remercie bien de tout ce qu’il y a de tendre dans votre lettre. Je tâche d’oublier le peu qui reste de dur et de sec. Je pense que c’est à votre usage une espèce de parure de fantaisie dont vous vous couvrez. J’aime à deviner dessous que vous êtes tout cœur et tout âme ; croyez que cela paraît, malgré tous vos efforts pour le cacher.