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CXVII

Bonn, 18 septembre 1846.

Je suis depuis six jours dans ce beau pays, non pas Bonn, mais je dis la Prusse rhénane, où la civilisation est très-avancée, sauf pour les lits, qui ont toujours quatre pieds de long et les draps trois. Je mène tout à fait une vie allemande, c’est-à-dire que je me lève à cinq heures et me couche à neuf, après avoir fait quatre repas. Jusqu’à présent, cette vie-là me convient assez et je ne me suis pas trouvé mal de ne rien faire qu’ouvrir la bouche et les yeux. Seulement, les Allemandes sont devenues horriblement laides depuis ma dernière visite. Voici le chapeau de la plus jolie que j’aie encore rencontrée ; — ce fut sur un bateau à vapeur entre Trèves et Coblence ; la place me manque pour l’illustration, que je mets au verso : c’est une capote d’où pend une pièce d’étoffe carrée, ouverte à l’extrémité, dont un angle est relevé à gauche au moyen d’une petite cocarde verte, blanche et rouge ; la capote est noire, l’Allemande fort blanche avec des pieds comme il suit… N. B. — Le dessin est exécuté à l’échelle de un centimètre pour mètre. Je voudrais que vous introduisissiez ces capotes-là. Vous leur feriez faire fortune. — En fait de monuments, je n’ai guère été content de ce que j’ai vu : les architectes allemands m’ont paru pires que les nôtres. On a saccagé le Munster à Bonn et peint l’abbaye de Laarh à faire grincer les dents. Les sites de la Moselle sont beaucoup trop vantés. Au fond, cela est peu de chose. Je ne trouve plus rien de beau depuis que j’ai passé le Tmolus. Mon admiration demeure exclusive pour ses ombrages et surtout pour la façon dont on y entend la cuisine ; ici, la grande affaire est zu speisen. Tous les honnêtes gens, après avoir dîné à une heure, prennent le thé et des gâteaux à quatre, vont manger à six un petit pain avec de la langue fourrée dans un jardin ; ce qui permet d’attendre jusqu’à huit heures pour entrer dans un hôtel et souper. Ce que deviennent les femmes pendant ce temps-là, je l’ignore ; ce qu’il y a de certain, c’est que, de huit à dix, il ne reste pas un homme dans les maisons : chacun est dans son hôtel favori à boire, manger et fumer ; la raison est, je crois, dans les pieds de ces dames et la bonté du vin du Rhin.

Je pense que vous allez être à Paris dans deux ou trois jours. En voyant les bois du Rhin et de la Moselle si verts, je ne puis me figurer que ceux de notre température soient devenus des balais. Cela n’est malheureusement que trop possible. Vous l’avez voulu. Adieu ; je suis fâché de ne pas vous avoir dit de m’écrire à Cologne, mais il est trop tard.