(1p. 263-265).

CXIII

Paris, 18 août 1846.

Je suis arrivé ici aujourd’hui en médiocre état de conservation, la tête toute étourdie de quatre cents kilomètres parcourus tout d’un trait. Pour me remettre, il faudrait votre présence réelle. Mais quand reviendrez-vous ? That is the question. Je vous suppose beaucoup trop éprise de la mer et des monstres marins pour songer à retourner ici de sitôt. J’en aurais grand besoin pourtant, je vous assure. Je ne saurais vous dire combien d’ennuis et de chagrins se sont amoncelés sur moi dans ce petit voyage. Il me rappelle le rêve de Gloster : I would not sleep another such a night though I were to live a world of happy days. En rentrant ici, je m’y sens encore plus isolé qu’à l’ordinaire, plus triste que dans aucune des villes que je viens de quitter : quelque chose comme un émigré qui rentre dans sa patrie et qui y trouve une nouvelle génération. Vous allez croire que j’ai horriblement vieilli dans ce voyage. Cela est vrai, et je ne serais pas étonné que quel que chose comme l’aventure d’Épiménide me fût arrivé. Tout cela, c’est pour vous dire que je suis horriblement triste et de mauvaise humeur et que j’ai grande envie de vous voir. Hélas ! vous n’avancerez pas d’une heure l’époque de votre retour. Le plus sage, c’est de me résigner. Lorsque vos robes se seront fanées à l’air de la mer, ou qu’il en viendra de plus fraîches de Paris, peut-être penserez-vous à moi. Mais alors je serai à Cologne, ou peut-être à Barcelone. J’irai à Cologne au commencement de septembre, et à Barcelone en octobre. On me dit des merveilles des manuscrits qui s’y trouvent. On dit que, pour une femme, il n’y a rien de plus agréable au monde que de montrer de jolies robes. — Je ne puis vous offrir d’équivalent à ces joies-là. Mais je souffrirais trop de vous croire ainsi faite. — Dieu est grand ! quelle que soit la nouvelle que vous avez à m’annoncer, écrivez-moi promptement. Nous verrons-nous pendant qu’il y a des feuilles ? Me ferez-vous manger des pêches de Montreuil, cette année ? Vous savez comme je les aime. Si vous avez quelque tendre souvenir, j’espère qu’il vous inspirera une résolution généreuse. J’ai la fièvre et je tremble horriblement en écrivant.