Lettres à la princesse/Lettre216
CCXVI
Je me le reproche. Je n’aime à écrire que sur des faits particuliers, j’aime peu à remuer mes sentiments ; ils sont voilés, ils sont ternes et tristes. Depuis quelque temps, j’ai une singulière vue des choses : j’assiste, je ne vis pas[1].
J’ai vu les Goncourt à leur retour de Saint-Gratien : mieux de santé, bien d’esprit et d’entrain. Ce petit ruban, qui plaît apparemment quand on est encore jeune, leur viendra-t-il à temps et non dédoublé ? Votre bonne grâce y pense, mais ailleurs il y a si peu de bonne grâce !
L… l’aura à coup sûr ; il est à la source, il le désire, il rend depuis quelque temps des services agréables par sa plume ; je ne vois pas pour lui de chance de manquer cette gloriole qui, dans le cabinet d’un ministre, est de tenue et de rigueur.
J’aurais aimé à entendre M. Benedetti, même muet sur les choses d’État ; mais il y a tant d’accessoires intéressants sur les hommes et les choses ! Et il voit si bien, il dit si net !
On m’a dit que le jeune et beau Giraud[2] était revenu attristé et non tout à fait guéri ; qu’en est-il ?
Je remercie bien son aimable père d’une pensée si hospitalière qu’il a eue pour moi. Mais ce qui n’est pas une distance, ce qui n’est qu’une enjambée quand on est bien, devient tout de suite une immensité quand chaque pas coûte.
On m’a dit de singulières choses sur le départ du précepteur impérial, M. Monnier. Le discours de Duruy a peu réussi au dehors[3]. Toute cette branche si délicate est bien étrangement menée. Mais on a tout dit là-dessus.
Je fais mes compliments à Hébert[4] ; il a eu quelques ennuis et beaucoup aussi de satisfactions. Il est assez haut pour que l’envie s’en mêle. Je lui fais mon compliment.
Mon cher docteur Phillips est sous le charme de la bonté et de l’ouverture qu’il a rencontrée dans la châtelaine de Saint-Gratien.
Je suis, Princesse, avec un tendre et inviolable attachement, tout vôtre.
- ↑ C’est le mot d’une lettre de Ducis à Bernardin de Saint-Pierre : « Je ne vis pas, j’assiste. »
- ↑ Fils et neveu des peintres de ce nom.
- ↑ Le discours de distribution des prix au concours général (7 août 1867).
- ↑ M. Hébert, directeur de l’Académie de France à Rome, venait d’être nommé officier de la Légion d’honneur.