Lettres à la princesse/Lettre110

Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 151-154).
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CX


Ce jeudi 15.
Princesse,

Oui, certes, tout cela n’est pas encore le loisir rêvé : cela y mène peut-être. J’ai rempli hier mes doubles devoirs ; j’y ai suffi — bien juste. Il m’a été agréable pourtant, hier soir, de pouvoir remercier directement l’empereur qui avait reçu ma lettre en voyage[1] et qui a bien voulu se le rappeler. — Aujourd’hui, Académie et Sénat, oh ! c’est trop. Mais demain, vendredi, je serai libre, j’espère, un peu plus tôt, et je pourrai arriver à Saint-Gratien, délivré de tous soins et heureux, Princesse, de vous saluer.

J’envoie devant mes hommages avec l’expression de mon respectueux et tendre attachement.


  1. Voici cette lettre essentiellement littéraire :

    « Sire, Votre Majesté a daigné, à la veille même de son départ, me conférer un grand honneur et, j’ose ajouter, un grand bienfait.

    » En couronnant par une faveur si haute une carrière purement littéraire, Elle semble avoir voulu honorer la profession même : les Lettres, je me plais à l’espérer, lui en seront reconnaissantes.

    » En ce qui m’est plus particulier, Sire, la bonté de Votre Majesté va me permettre de consacrer ce qui me reste d’activité et de force à des études plus suivies, plus élevées et de nature à répondre moins imparfaitement à l’idée d’un grand règne.

    » De nouveaux devoirs me sont imposés : je m’efforcerai d’être à la hauteur de ces obligations nouvelles et pour cela j’aurai à me pénétrer surtout des pensées de Votre Majesté, qui ne sont pas distinctes de la grandeur et de la sagesse de la France.

    » Veuillez agréer, Sire, l’hommage de ma profonde reconnaissance et de mon dévouement le plus respectueux. »

    La littérature témoigna sa satisfaction à M. Sainte-Beuve par de nombreuses marques de sympathie et des félicitations qui lui arrivèrent de toutes parts, même de l’étranger. Nous retrouvons cet intéressant fragment d’une lettre de Mme Louise Colet, sur lequel M. Sainte-Beuve avait écrit : « À joindre à

    mon article Fauriel sur le poëte Manzoni, — tome IV des Portraits contemporains.)
    Villa-Reale-di-San-Lucio, près Caserte
    (Italie méridionale), 9 mai 1865

    « … Votre nomination avait été annoncée, il y a près d’un an, par les journaux italiens. Manzoni, que je voyais chaque jour à Milan (au mois de juillet dernier), me dit à cette occasion combien il vous aimait et combien il se félicitait de tout ce qui pourrait vous arriver d’heureux. Il vous était pour toujours reconnaissant, ajoutait-il, de la manière dont vous aviez parlé de lui ; il vous devait d’être connu en France sous un jour favorable. Il me disait tout cela à la campagne sous les beaux ombrages d’un parc qu’il a planté lui-même, il y a soixante ans. Il me parla aussi beaucoup de M. Fauriel ce jour-là et aussi du philosophe (M. Cousin), à qui il en veut un peu de ne pas être meilleur Italien à l’heure qu’il est, après l’avoir vu si fougueux pour la même cause en 1821. Manzoni est resté immuable ; il veut la liberté et l’unité italienne complètes. Quel grand esprit et quelle admirable tête de vieillard ! La conversation revint sur votre compte pendant le dîner. « Si vous avez occasion d’écrire à M. Sainte-Beuve, me dit-il, ne manquez pas de lui répéter mes sentiments pour lui et la joie que j’aurais de le voir et de le recevoir ici. » Je voulais vous écrire tout cela à cette époque, en vous félicitant de votre nomination au Sénat ; mais les journaux la démentirent quelques jours après. Cependant, désirant que les paroles de Manzoni vous parvinssent, je les adressai à M. Camille Doucet pour vous les lire, et j’espère qu’il n’y aura pas manqué. »