Lettres à la princesse/Lettre111

Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 154-155).
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CXI


Ce vendredi 23 juin.
Princesse,

J’écris à M. Giraud lui-même pour lui demander une explication. Je soupçonne que c’est seulement une mesure d’âge. Le coquet ne nous en aura rien dit. Si c’est cela, la loi est absurde qui inutilise de tels hommes dans la chaire avant le temps.

La jeunesse, de tout temps, a été outrecuidante, mais de nos jours, et littérairement, cela passe tout. Le plaisant est qu’ils veulent faire d’une pierre deux coups et mettre leurs plaisirs en art, leurs polissonneries en pièces de vers ou de comédie, pour qu’on les applaudisse par-dessus le marché et y gagner honneur et argent. C’est trop. Le jeune de M… est un charmant jeune homme, mais ses vers que j’ai lus sont l’enfance même. L’autre joli jeune homme aux gants blancs ne doute de rien. C’est un fat. Eh bien, nous, critiques, nous avons à nous démêler avec ces mêmes prétentions qui nous reviennent en livres : et nous devons être attentifs, car il peut y avoir dans le nombre de vraies semences de talent. Mais je suis incapable d’entendre de telles lectures jusqu’à la fin : non, je ne le puis. En livres, passe ! on lit du pouce ; en face et en personne, c’est trop !

Je pousse tant que je peux toutes mes corvées, en aspirant au jour où je serai libre : ce Discours sur les prix de vertu[1] est mon cauchemar pour le moment. Aura-t-on donc toujours un cauchemar ? il me semble qu’on ne fait qu’en changer.

Sacy a été galant pour moi aussi, Princesse ! je lui ai dit hier que j’avais lu une page de sa lettre.

Je mets à vos pieds, Princesse, l’hommage de mon respectueux attachement.

  1. Voir Nouveaux Lundis, tome IX, le Discours sur les prix de vertu, lu par M. Sainte-Beuve à la séance annuelle de l’Académie française le 3 août 1865. — Il commençait à le préparer.