Lettres à la princesse/Lettre094

Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 124-125).

XCIV


Ce vendredi.
Princesse,

Je n’avais pas lu l’homélie[1], me contentant de la voir des yeux, vous me l’avez fait lire. C’est décidément une faiblesse chez cet excellent homme. Sa personne vaut mieux, et sa conversation a une certaine chaleur sincère qui nous permet de nous passer de ses écrits.

J’ai repensé à cette soirée, à ces conversations d’avant-hier ; la décadence me trotte dans la tête. La décadence mexicaine, j’en prends mon parti et nous en voilà quittes. Mais la décadence française, je ne puis l’accepter si tôt et en faire si bon marché. Pourquoi crier qu’on a perdu la bataille quand on a, encore de bonnes troupes dans les mains ? Pourquoi risquer de les décourager en disant les choses perdues à l’avance ? Pourquoi, quand on est soi l’un des chefs, marquer qu’on a si peu confiance, au lieu de prêcher d’exemple et de lutter vaillamment ? — Croire qu’on est vaincu, à la guerre, c’est déjà être vaincu.

Voilà ce que je pensais, moi, athée et païen, à ce qu’on dit ! J’avais besoin de sentir que vous étiez, Princesse, mon alliée secrète pour ne pas me juger tout à fait battu. Mais Dieu et vous aidant, je me sens encore du cœur au ventre.

Quel sombre aujourd’hui ! Que de neige dans l’air ! Pourrez-vous prendre vos crayons ? — Pour moi, je vais dicter et griffonner jusqu’au soir.

Je suis à vous, Princesse, de tout mon cœur et de tout mon respect.

  1. Une préface de M. de Sacy, sur Saint François de Sales, dans le Journal des Débats (jeudi 15 décembre 1864).