Lettres à Herzen et Ogareff/À Ogareff (9-04-1871)

Lettres à Herzen et Ogareff
Lettre de Bakounine à Ogareff - 9 avril 1871



LETTRE DE BAKOUNINE À OGAREFF


9 avril 1871. Locarno.
Fête de Pâques ici, d’après
le nouveau style, chez nous
pas encore ce me semble.


Mon cher Aga !


J’ai reçu ton thé, merci. Il paraît que tu m’en fais l’envoi gratuitement, en guise d’offrande amicale, donc, deux fois, merci.

J’attends avec la plus vive impatience des lettres de toi et de O., en réponse aux trois missives que je vous ai envoyées dernièrement. Je ne vais pas répéter ici ce que je vous ai déjà dit auparavant. Je voudrais t’entretenir simplement de la première livraison de mon livre. Notre pauvre ami O., qui est tout à la France et aux événements de Paris et qui, dans son effervescence, passe toutes ses journées à conspirer avec les montagnards[1], n’aura, certes, pas le temps de s’occuper de mon ouvrage, malgré toute sa bonne volonté.

Cette fièvre allait m’atteindre moi-même, néanmoins, j’ai pu lui résister. Je ne vois que trop clairement que la cause est perdue. Il paraît que les Français, la classe ouvrière elle-même, ne sont pas très émotionnés de cet état de choses. Cependant, combien la leçon est terrible ! Mais cela ne suffit pas ! Il leur faut des calamités plus grandes, des secousses plus fortes. Tout fait prévoir que ni les unes, ni les autres, ne manqueront. Et c’est alors, peut-être, que s’éveillera le démon. Mais, tant qu’il sommeille, nous n’y avons rien à faire. Il serait, vraiment, malheureux d’avoir à payer les verres cassés ; ce serait même tout à fait inutile. Notre tâche, à nous, est de faire le travail préparatoire, nous organiser et nous étendre, afin de nous tenir tout prêts, quand le démon se sera réveillé.

Faire le sacrifice de nos maigres ressources et de nos hommes déjà peu nombreux, cet unique trésor que nous possédons, avant que l’heure ait sonné, eût été coupable et imbécile. C’est là mon opinion définitive. Je fais mon possible et je t’engage beaucoup d’en faire autant pour retenir notre ami ou nos amis O. et Ross, de même que nos amis les montagnards. Hier, j’ai écrit dans ce sens à Adhémar, dis à O., d’ailleurs, de lire lui-même cette lettre que j’écris autant pour lui que pour toi.

Je reviens donc sur mon livre.

La première livraison doit se composer de huit feuilles imprimées.

Première question : avez-vous assez de copie pour remplir les huit feuilles ? Si non, demandez à l’imprimeur le nombre de mes feuillets dont il aurait besoin pour les compléter ? Je les lui enverrai immédiatement.

2) L’impression de cette première livraison avance-t-elle ? Avez-vous assez d’argent pour payer ces huit feuilles, si vous en manquez quelles sont les mesures que vous avez prises pour vous le procurer ?

3) Toi, vieil ami, veille à ce que l’impression soit bien faite, qu’il n’y ait pas de fautes. Ne pourriez-vous pas confier cette besogne à ce Français, que, dans le temps, Tchernetzki occupait à la correction des épreuves et qui s’acquittait fort bien de son affaire ? S’il est absent, on pourrait en trouver un autre.

4) Il serait désirable que la première livraison de mon ouvrage présentât quelque chose d’achevé ; qu’elle ne s’arrêtât pas brusquement à la moitié d’une phrase.

5) J’ai prié O. de m’envoyer aussitôt 20 exemplaires de chaque feuille imprimée et d’en envoyer encore quelques-uns aux adresses que je lui ai indiquées. Je vous en prie, faites-le le plus vite possible.

Adieu, je t’embrasse, de même que Marie. Écris-moi sur toi-même ; comment vas-tu, que fais-tu ! Antosia vous salue tous.


Ton M. B.


  1. Bakounine appelait ainsi la Fédération jurassienne, de La Chaux-de-Fonds (Trad.).