Lettre sur les Atlantiques et l’Atlantide

LETTRE
SUR
LES ATLANTIQUES ET L’ATLANTIDE[1]
1762

Je vais vous parler cette fois, mon ami, de ces temps innocents où le ciel était encore en commerce avec la terre, et ne dédaignait pas de visiter ses enfants ; de ces premiers et vénérables agriculteurs qui n’habitèrent presque jamais des villes, qui vécurent sous des tentes et dans les champs, qui eurent de nombreux troupeaux, une grande famille, un peuple de serviteurs ; qui épousaient quelquefois les deux sœurs ensemble, et faisaient des enfants à leurs servantes ; qui furent pâtres et rois, riches sans or, puissants sans possessions, heureux sans lois. Alors la pauvreté était le plus grand vice des hommes, et la fécondité, la vertu principale des femmes. De grandes richesses et beaucoup d’enfants étaient les marques d’une bénédiction spéciale de la Divinité, qui ne promit jamais à ses fidèles adorateurs que des biens temporels.

M. Baer, aumônier de la chapelle royale de Suède à Paris, prétend que les habitants de l’Atlantide et les patriarches sont les mêmes hommes. Cette idée lui est venue à la lecture du Timée et du Critias de Platon ; j’aime cet aumônier hérétique, puisqu’il lit le Timée et le Critias ; il n’y a pas un de nos prêtres catholiques qui sache ce que c’est.

Platon introduit Critias dans un de ses Dialogues, racontant l’histoire de cette contrée dont il dit que la plus grande partie avait disparu sous les eaux.

Critias, grand-père de Platon, tenait cette histoire de son grand-père qui la tenait de son oncle, Solon, qui la tenait des prêtres de Sais en Égypte où il avait voyagé. C’était donc, comme vous voyez, une tradition moitié orale, moitié écrite, qui avait passé par six générations.

Platon proteste que son récit n’est pas une fable. Si les noms des chefs, des provinces, des frontières, des villes principales et des peuples voisins sont grecs dans sa description, il en apporte pour raison que Solon se proposant d’insérer dans son poëme ce qu’il avait appris des prêtres égyptiens sur l’Atlantide et ses habitants, avait traduit littéralement les noms égyptiens selon le sens qu’ils avaient dans cette langue, comme les Égyptiens les avaient traduits littéralement selon le sens qu’ils avaient dans la langue atlantique.

D’après cette réflexion de Platon, de quoi s’agit-il donc, sinon de comparer les noms propres répandus dans les deux Dialogues de Platon, avec les noms propres correspondants, répandus dans l’histoire des Israélites, et déjuger d’après cette comparaison, s’il est possible ou non que l’Atlantide et la Palestine aient été des contrées différentes, les Atlantiques et les Hébreux des peuples différents ?

Platon dit que l’Atlantide fut premièrement occupée par un nommé Évenor, et par sa femme Leucippe ; qu’ils eurent une fille appelée Clito et que Clito épousa Neptune et en eut Atlas et neuf autres fils auxquels Neptune distribua la contrée. Atlas l’aîné occupa la capitale et eut l’empire sur tous ses frères qui régnèrent souverainement dans leurs provinces.

Diodore fait descendre les Atlantiques d’un Uranus ; il leur donne Atlas pour fondateur. Il dit qu’Atlas n’eut qu’un frère appelé Saturne, mais qu’il eut plusieurs fils.

Qu’est-ce que cet Uranus ? C’est, répond M. Baer, Abraham, ainsi appelé, par les Égyptiens et par Diodore, du pays d’Ur, dont il était originaire.

Et Atlas ? C’est Jacob. Lorsque Jacob eut lutté contre le Seigneur, il lui fut dit : « Tu ne t’appelleras plus Jacob, mais Israël ou le Lutteur ! » et que signifie Atlas en grec ? L’athlète ou le Lutteur.

Et Saturne ? c’est Ésaü. Que veut dire Ésaü en hébreu ? Le Velu, celui qui est né vêtu. Et d’où vient Saturne ? De Satar qui signifie la même chose.

Selon Platon le successeur d’Atlas, celui qui occupa la contrée qui touche les colonnes d’Hercule, s’appela Eumélus ou Gadir, et sa province Gadirica. Mais un des enfants de Jacob a nom Gad. Eumélus est un composé de la proposition eu, caractéristique de bonté, et de mélos, brebis ; et Gadah en hébreu signifie bélier. De plus la partie de la Palestine occupée par la tribu de Gad touchait à la province de l’Arabie, appelée le désert de Gades, ou le Gadirtha ou le Gadara.

Le troisième chef des Atlantiques s’appela, selon Platon ou Solon, Ampherès, d’Anafero qui signifie en grec qui s’élève, et Joseph signifie aussi, en hébreu, qui a été élevé ou qui s’élève.

Le quatrième eut nom Eudémon, le Bienheureux, qui se rendrait exactement en hébreu par Ascher, nom d’un des fils de Jacob.

Mnescus fut le cinquième. Mnescus signifie, en grec, qui donne des arrhes de mariage, et Issachar a le même sens en hébreu.

Le nom du sixième, Autochthon, né de la terre ou demeurant sur la terre, se traduirait en hébreu par Sabulon.

Elasippus ou le Vainqueur, nom du septième, est la même chose que Nephtali en hébreu.

Le huitième s’appelle Mestor, Homme sage, et Dan a la même signification.

Azaës, le Loué, fut le neuvième, et la mère de Juda en mettant cet enfant au monde, s’écria : « Je louerai le Seigneur, » et l’appela Juda ou le Fils de la Louange.

Le dixième fut nommé Diaprepès, l’Éminent, qui se rendrait en hébreu par Ruben, sens auquel Jacob fit allusion, lorsqu’il dit à ce fils : Ruben, primogenitus meus, tu fortitudo mea ; prior in domis ; major in imperio.

Considérez avant de nous enfoncer davantage dans ces broussailles étymologiques, quel moment c’était pour les pères et pour les mères, chez le peuple d’Israël, que la naissance des enfants. Les mères sentaient arriver les douleurs de l’enfantement avec joie ; leurs cris étaient mêlés de louange, de prières, de remercîment, d’invocation, et les prières nommaient presque toujours le nouveau-né d’après quelque circonstance de la naissance.

On objecte à M. Baer que les inductions étymologiques sont suspectes ; et il en convient en général ; que les langues orientales nous sont peu connues, et il en est assez fâché ; et qu’un même mot susceptible de plusieurs sens donne beau jeu à l’étymologiste, et il faut encore ici tendre les épaules.

On objecte encore à M. Baer que Jacob eut douze enfants, qu’il y eut douze tribus et qu’en confondant Atlas avec Israël ou Jacob, il lui manque trois frères de cette famille. Pourquoi n’y a-t-il dans Platon rien qui réponde à Lévi, à Manassès, à Éphraïm, à Benjamin et à Siméon ? C’est, répond M. Baer, que la tribu de Lévi n’eut pas de district ; que celles d’Éphraïm et de Manassès, fils de Joseph, furent comprises sous la dénomination de leur père, et qu’après le massacre de la tribu de Benjamin, ses restes se fondirent dans celle de Juda qui engloutit encore les enfants de Siméon, selon la prédiction qui leur en avait été faite.

Il faut convenir qu’ici l’histoire sert l’auteur assez heureusement. Il tire aussi bon parti de la date des expéditions des Atlantiques, de la contrée dont ils sont venus, et de celle où ils se sont arrêtés.

Critias dit dans le dialogue de Platon, d’après les prêtres de Sais, que depuis l’expédition des Atlantiques jusqu’au temps du voyage de son oncle, il s’était écoulé neuf mille ans. « Entendez, dit M. Baer, ces années de mois lunaires ; divisez neuf mille par douze et le quotient 750 différera d’un très-petit nombre d’années de l’intervalle de temps qu’il y eut vraiment entre l’entrée des Israélites dans la terre promise et le voyage de Solon en Égypte.

« Et pour vous assurer que les années égyptiennes ne sont que des mois lunaires, divisez par douze les vingt-trois mille ans que les Égyptiens comptaient depuis leur premier roi, le soleil, jusqu’à l’expédition d’Alexandre, et les 1916 ans que vous trouverez pour quotient, seront à très-peu de chose près, la distance réelle de ces deux époques. »

L’Égypte s’appelle aussi la terre de Cham ; le soleil fut, disent les Égyptiens, leur premier roi ; et selon Moïse, Mitzraïm, qui signifie en hébreu chaleur, ardeur du soleil, fut fils de Cham, fondateur du peuple égyptien.

D’où Critias ou Platon fait-il venir les Atlantiques ? De la mer de ce nom ; et il ajoute que pour atteindre la contrée qu’ils avaient à conquérir, ils avaient dépassé les colonnes d’Hercule. Qu’est-ce que ces colonnes d’Hercule ? Nous n’avons jamais entendu parler que de celles qui se sont trouvées dans le voisinage de Gibraltar ; et la mer qui baigne les côtes du Portugal, de l’Espagne et de l’Afrique, est la seule mer Atlantique que nous connaissions.

Pour satisfaire à ces questions l’auteur vous fait lire dans Strabon, que l’Arabie heureuse est située sur les bords de la mer Atlantique, et occupée par les premiers cultivateurs que la terre ait eus après les Syriens et les Juifs ; dans Hérodote, que la mer Atlantique dont il s’agit, est la même que la mer Rouge ; dans Denys le Periégète, que les Éthiopiens habitent l’Erythrie proche de la mer Atlantique ; dans le premier lexicon, qu’Érythros en grec signifie rouge, et qu’Édom en hébreu a la même signification ; et dans la Bible, que le pays d’Édom était situé entre la Palestine et la mer Rouge.

Critias raconte qu’au temps de l’expédition des Atlantiques, la mer de ce nom était guéable, et Diodore assure que de son temps les habitants voisins de la mer Rouge disaient, d’après leurs ancêtres, que les eaux de cette mer Atlantique s’étaient un jour partagées en deux, de manière qu’on pouvait en voir le fond.

« Donc, conclut M. Baer, il y a une autre mer Atlantique que celle que nous connaissons, et cette mer était certainement la mer Rouge. »

Cela se peut, monsieur Baer. Point de dispute. Mais nous prouverez-vous aussi qu’il y a eu d’autres colonnes d’Hercule que les nôtres ? — Sans doute, je vous le prouverai, dit M. Baër. — Voyons, monsieur Baer.

Hercule fut un des dieux de la Phénicie, l’Hercule phénicien s’appelait Chonos et la Phénicie, Chna ; ce qui rappelle à l’homme le moins attentif le Chenaan ou Chanaan de la Bible ; partout les Phéniciens élevaient des temples à leur Hercule, et dans tous ces temples il y avait deux colonnes, l’une consacrée au feu et l’autre aux nuées et aux vents. Il ne s’agit donc plus que de trouver entre la mer Rouge et la Palestine quelque temple fameux dédié à l’Hercule de la Phénicie. Or l’histoire nous apprend qu’il y en avait un ; elle fait même mention des colonnes de ce temple, et il est écrit que le partage de Gadir, l’un des chefs Atlantiques, commençait à l’extrémité de la contrée, et s’étendait jusqu’aux colonnes d’Hercule ; l’embouchure du Nil voisine de ces colonnes s’appelait même l’embouchure herculéenne. Voilà donc d’autres colonnes d’Hercule que les nôtres et M. Baer bien joyeux[2].

Les prêtres de Saïs dirent assez impoliment à Solon : « Vous autres Grecs vous n’êtes que des enfants, et il n’y a jamais eu un Grec vieillard. L’Atlantide, avant l’arrivée des Atlantiques, était occupée par vos ancêtres qui furent le reste d’un petit nombre d’hommes échappés à une grande calamité ; c’était la patrie commune des Athéniens et des Égyptiens. La contrée voisine du fleuve Eridanus et de la ville Elissus fut submergée, et là il se forma un lac bourbeux, innavigable et dont les exhalaisons sont mortelles. Vous ne savez pas cela parce que, malgré votre vanité, vous n’êtes que des ignorants. »

Et M. Baer qui a écouté avec une avidité incroyable ce discours des prêtres de Saïs, dit : « Qu’est-ce que cette grande calamité, sinon le fer destructeur des Israélites ? Et ce lac bourbeux, innavigable et dont les exhalaisons sont mortelles, sinon le lac de Sodome et de Gomorrhe ou Asphaltite ? Et ce fleuve Eridanus, sinon le Jordanus en changeant seulement la tête ? Et cette ville Elissus dont Solon a fait le nom du verbe grec elisso, je coule, sinon la ville de Gilgal dont le nom signifie en hébreu roue, et qui fut située sur la rive du Jourdain, proche de la mer Morte ? » Que j’aime ces prêtres de Saïs qui disent des choses si dures et si bien placées aux Grecs, et qui suggèrent de si belles conjectures à M. l’aumônier de la chapelle de Suède !

Mais ce n’est pas tout. L’Atlantide avait, selon Platon et son interlocuteur, Critias, 3,000 stades en longueur, sur 2,000 en largeur vers la mer ; elle s’étendait du nord au midi ; elle était au nord bordée de montagnes ; sa forme était presque carrée, mais plus longue que large.

« Qui est l’homme assez ignorant en topographie, s’écrie M. Baer, pour ne pas reconnaître ici la Palestine ? »

Car 1° le degré était de 774 stades, donc 3,000 stades équivalent à 3°52′. C’est la longueur de la Palestine. Donc 2,000 stades équivalent à 2°34′. C’est à peu près la largeur de la Palestine, la distance du Liban à l’Euphrate ; et en ajoutant les conquêtes de Salomon c’est la vraie distance du port de Gaza au lac de Tibérias. Ma foi, cela est bien séduisant, et peu s’en faut que je ne sois de l’avis de M. Baer ;

2° Platon dit que l’Atlantide touchait à l’Égypte du côté de la Libye et à Tyrrhenia du côté de l’Europe. Or il y avait une Libye sur les bords de la mer Rouge ; le pays d’Ammon était situé au milieu d’une Libye ; cette Libye était voisine de Gérar et, partant, de l’Arabie et des côtes de la mer Rouge. Permettez ensuite à M. Baer d’entendre par Tyrrhenia le district de la ville de Tyr et tout ira bien. Les Grecs ont appelé Tyr ce que les Orientaux appelaient Tsor, et par conséquent Tyriens ce que ceux-ci appelaient Tsorins. Voilà qui est clair.

Examinons à présent si les noms des villes de la Palestine comparés aux noms des villes de l’Atlantide ne nous fourniront pas quelque preuve nouvelle.

On lit dans Diodore de Sicile que les Amazones, filles des Atlantiques, bâtirent une grande ville proche du lac Triton, à laquelle, à cause de sa situation, elles donnèrent le nom de Chersonèse ou pays désert et sablonneux.

Vous allez dire : Qu’ont à faire ici les Amazones, les filles des Atlantiques, leur ville, le lac Triton et la Chersonèse ? Piano, di grazia. Vous allez voir.

Dans l’idiome oriental, les villes dépendant d’une capitale s’appellent ses filles.

Dans Diodore, les filles des Atlantiques sont appelées Amazones, mot composé de Am qui signifie peuple en hébreu, et de Tzon qui signifie troupeau dans la même langue ; et voilà les femmes fabuleuses à une mamelle restituées à l’histoire sous la dénomination d’un peuple pasteur.

Et cette Chersonèse, que croyez-vous que ce soit ? C’est la ville de Sion. Oui, monsieur, la ville de Sion. Sion en hébreu veut dire précisément terre sablonneuse et déserte comme Chersonèse en grec. Levez donc vos mains au ciel et écriez-vous : La bella cosa che la scienza etimologica, et ne parlez pas de ces merveilles à notre ami l’abbé Galiani, car la tête lui en tournerait.

Des gens difficiles à contenter objectent que Platon dit en cent endroits que l’Atlantide était une île et que la Palestine n’en est pas une ; mais ces gens-là ne savent pas que le mot I, en hébreu, signifie indistinctement île et demeure et qu’on dit même aujourd’hui l’Ile des Arabes.

Platon dit qu’au milieu du pays est une plaine belle et fertile qui décline en s’abaissant vers la mer et, proche de cette plaine, une petite montagne. M. Baer voit là exactement la situation de Salem, et à sa place vous verriez comme lui.

Le palais du roi et le temple des Atlantiques étaient sur cette montagne ; cela convient aussi aux Israélites.

Les Atlantiques n’avaient que trois ports et les Israélites non plus, Gaza, Joppé et un autre sur la mer Rouge[3].

M. Baer voit dans le récit de Platon et celui que Moïse fait de la fertilité du pays des conformités étonnantes.

Platon dit pourtant que l’Atlantide abondait en éléphants, et il n’y en eut jamais en Palestine. C’est que le mot grec Elephas qui n’est pas grec vient de l’hébreu Elaphim qui signifie bœuf. Les Phéniciens donnaient aux bœufs le nom d’Elaphim, et les Grecs et les Romains quelquefois aux éléphants le nom de bœufs.

M. Baer voit dans le temple de Jérusalem celui des Atlantiques ; il voit les sacrifices des Hébreux dans les leurs. Il est parlé d’une solennité générale et annuelle, c’est la pâque ; d’une colonne sur laquelle les lois étaient écrites, ce sont les tables mosaïques ; d’une imprécation contre les transgresseurs, Moïse avait ordonné la même chose.

Le temple des Atlantiques était consacré à Neptune et à Clito. Ce Neptune c’est l’ineffable Jehovah. Cette Clito dont le nom vient de Cleos qui veut dire gloire en grec, est la gloire de Jehovah, le Schechinah, ornement symbolique du temple de Jérusalem qui signifie aussi gloire de Dieu.

Je n’ai pu voir un grand rapport entre le gouvernement et les mœurs des Atlantiques et des Israélites, M. Baer y en voit beaucoup ; chacun a sa façon de voir.

Quant à la langue de ces peuples, Diodore de Sicile nous apprend qu’on donnait aux Nymphes le nom d’Atlantides, parce que dans la langue des Atlantiques, le mot Nymphé signifiait femme, et M. Baer remarque très-bien que Nymphé dans la langue hébraïque signifie nouvelle mariée, et que la racine de nymphe est Nuph, distiller, tomber en gouttes, qui va très-bien aux Nymphes ; pour aux nouvelles mariées ce n’est pas mon affaire.

Un Jupiter, oncle paternel d’Atlas, eut dix fils qu’on nomma les Curètes. Or ce mot Curètes est tout à fait hébreu ; il signifie district, famille.

Tant que les Atlantiques demeurèrent fidèles à leurs lois, à leurs chefs et à leurs dieux, ils furent riches, puissants et heureux ; mais lorsqu’ils eurent perdu leur innocence et oublié leur devoir, les dieux irrités s’assemblèrent ; et on ne sait pas ce qu’ils firent ; car le reste du dialogue de Platon nous manque. Hiatus valde deflendus. Ce qui n’empêche pas M. Baer de croire et d’assurer que le sort des Atlantiques fut le même que celui des Israélites corrompus ; et moi qui n’aime pas à disputer, j’y consens.

Lorsque vous réfléchirez, mon ami, que s’il y avait seulement dans tout l’alphabet de deux peuples, deux caractères communs et désignant les mêmes sons, il y aurait plus d’un million à parier contre un, que ces deux peuples ont communiqué par quelque endroit, et que vous vous rappellerez combien il y a de ressemblance entre le récit de Moïse et celui de Platon, vous ne douterez point que vraiment l’Atlantide des prêtres de Sais, ne soit la Palestine de la Bible. Eh bien, mon ami, parcourez les extraits des dialogues du Timée et du Critias de Platon que M. Baer a très-maladroitement ajoutés à la fin de son ouvrage et je veux mourir si vous ne regardez l’auteur comme un enfant qui s’amuse à observer les nuées à la chute du jour. Le jour est bien tombé depuis environ deux mille cinq cents ans que Platon écrivait, et M. l’aumônier de Suède a vu dans les nuées de l’auteur grec, tout ce qu’il a plu à son imagination, aidée de beaucoup de connaissances, d’étude et de pénétration. Excellent mémoire à lire pour apprendre à se méfier des conjectures des érudits.

Mais je m’aperçois, mon ami, que je me suis arrêté trop longtemps à cette histoire de la vie patriarcale que vous aimez tant, et pour laquelle vous êtes si bien fait ; j’en excepte pourtant l’usage d’épouser Rachel et Lia à la fois, et de faire encore des enfants aux servantes. Voilà un côté des mœurs primitives qui ne me déplaît pas trop à moi, et que vous ne vous soucierez pas de renouveler ; car vous êtes scrupuleux.


  1. Cette lettre a paru pour la première fois dans la Correspondance inédite de Grimm, publiée par MM. Chéron et Thory en 1829. Elle y est divisée en deux parties sous ces dates : 15 octobre 1755 et 1er  novembre 1762. Mais l’ouvrage de Baer : Essai historique et critique sur les Atlantiques, ne parut qu’en 1762, Paris, in-8°. C’est donc à cette époque qu’il faut placer cette lettre qui forme d’ailleurs un tout dans la copie que nous en possédons d’après le manuscrit de l’Ermitage. Cette copie présente quelques différences avec le texte imprimé.
  2. C’est ici que finit la première lettre dans la Correspondance inédite de Grimm.
  3. Éziongaber.