Lettre 317, 1673 (Sévigné)

Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 195-198).
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1673

317. — DE MADAME DE COULANGES À MADAME DE SÉVIGNÉ.

À Paris, le 20e mars.

Je souhaite trop vos reproches pour les mériter. Non, ma belle, la période ne m’emporte point ; je vous dis que je vous aime par la raison que je le sens véritablement ; et même je suis plus vive pour vous que je ne vous le dis encore.

Nous avons enfin retrouvé Mme Scarron, c’est-à-dire que nous savons où elle est ; car pour avoir commerce avec elle, cela n’est pas aisé. Il y a chez une de ses amies un certain homme[1] qui la trouve si aimable et de si bonne compagnie, qu’il souffre impatiemment son absence. Elle est cependant plus occupée de ses anciens amis qu’elle ne l’a jamais été ; elle leur donne le peu de temps qu’elle a avec un plaisir qui fait regretter qu’elle n’en ait pas davantage. Je suis assurée que vous trouvez que deux mille écus de pension sont médiocres ; j’en conviens, mais cela s’est fait d’une manière qui peut laisser espérer d’autres grâces. Le Roi vit l’état des pensions : il trouva deux mille francs pour Mme Scarron, il les raya, et mit deux mille écus[2].

Tout le monde croit la paix ; mais tout le monde est triste d’une parole que le Roi a dite, qui est que, paix ou guerre, il n’arriveroit à Paris qu’au mois d’octobre.

Je viens de recevoir une lettre du jeune guidon. Il s’adresse à moi pour demander son congé ; et ses raisons sont si bonnes, que je ne doute pas que je ne l’obtienne[3].

J’ai vu une lettre admirable que vous avez écrite à M. de Coulanges ; elle est si pleine de bon sens et de raison, que je suis persuadée que ce seroit méchant signe pour quelqu’un qui trouveroit à y répondre. Je promis hier à Mme de la Fayette qu’elle la verroit ; je la trouvai tête à tête avec un appelé Monsieur le. Duc. On regretta le temps que vous étiez à Paris ; on vous y souhaita ; mais, hélas ! qu’ils sont inutiles, les souhaits ! et cependant on ne sauroit se corriger d’en faire.

M. de Grignan ne s’est point du tout rouillé en province ; il a un très-bon air à la cour, mais il trouve qu’il lui manque quelque chose ; nous sommes de son avis, nous trouvons qu’il lui manque quelque chose[4]. J’ai mandé à M. de la Trousse ce que vous m’écrivez de lui. Si ma lettre va jusqu’à lui, je ne doute pas qu’il ne vous en remercie. Je crois que le secret miraculeux qu’il avoit de faire comme les gens les plus riches lui manque dans cette occasion ; il me paroît accablé sans ressource.

Mme du Fresnoi fait une figure si considérable, que vous en seriez surprise ; elle a effacé Mlle de S*** sans miséricorde[5]. On avoit tant vanté la beauté de. cette dernière qu’elle n’a plus paru belle. Elle a les plus beaux traits du monde ; elle a le teint admirable ; mais elle est décontenancée, et elle ne le veut pas paroître ; elle rit toujours, elle a méchante grâce. Madame fera souvent voir de nouvelles beautés ; l’ombre d’une galanterie l’oblige à se défaire de ses filles : ainsi je crois que celles qui lui demeureront se trouveront plus à plaindre que les autres. Mlle de L***[6] la quitte. Mme de Richelieu m’a priée de vous faire mille compliments de sa part.

Adieu, ma très-aimable belle ; j’embrasse, avec votre permission et la sienne, Madame la comtesse de Grignan : n’est-elle point encore accouchée ? M. de Coulanges m’a assurée qu’il vous enverroit Mithridate. On me peint aujourd’hui pour M. de Grignan ; je croyois avoir renoncé à la peinture. L’histoire du Charmant est pitoyable ; je la sais… Orondate[7] étoit peu amoureux auprès de lui ; il n’y a que lui au monde qui sache aimer : c’est le plus joli homme, et son Alcine[8], la plus indigne femme.


  1. Lettre 317. — 1. Ce certain homme ne peut être le Roi, comme quelques personnes l’ont pensé. Mme Scarron n’était pas encore fixée à la cour, elle ne le fut qu’en 1674, quand il fut permis aux enfants de Mme de Montespan d’y paraître ; d’ailleurs le Roi n’éprouva d’abord que de l’éloignement pour leur gouvernante ; et il ne fut ramené que par la correspondance qu’elle entretint directement avec lui, pendant les voyages d’Anvers et de Baréges, et par quelques mots du petit duc du Maine. Il s’agit peut-être ici du président de Barillon. (Note, abrégée, de l’édition de 1818.) — Malgré cette note et celle de Walckenaer, tome V, p. 410, nous ne trouvons pas si impossible que Mme de Coulanges ait voulu désigner Mme de Montespan et le Roi : voyez la lettre du 7 août 1675. S’il fallait chercher d’autres noms, nous ne penserions peut-être pas à Barillon, mais nous croirions plutôt que Mme de Coulanges veut parler ici du maréchal et de la maréchale d’Albret (voyez Mme de Caylus, tome LXVI, p. 366 et suivantes ; et Saint-Simon, tome I, p. 367 et suivante).
  2. 2. Mme de Coulanges félicita Mme Scarron, en son nom et au nom de Mme de Sévigné. Mme Scarron répondit par un joli billet : « Je remercie, dit-elle, Mme de Sévigné ; dites-lui combien je mérite qu’elle m’aime toujours. Le mignon a fort bien retenu les vers de M. de Coulanges ; il les a récités avec grâce. On a demandé l’auteur : je l’ai nommé ; on a souri ; dans ce pays-ci rien ne se perd. » (Lettres de Madame de Maintenon, Amsterdam, 1756, in-12, tome I, p. 56.)
  3. 3. Mme de Coulanges était, comme nous l’avons dit, cousine germaine de Louvois. — Voyez la Notice, p. 202.
  4. 4. Il désirait le cordon de l’Ordre.
  5. 5-. « L’initiale S désigne peut-être Mlle d’Usa de Salusse, inscrite la première dans la liste des filles d’honneur de la Reine. » (Walckenaer, tome IV, p. 210.)
  6. 6. L’édition originale de 1651 ne donne que la lettre initiale. Grouvelle a imprimé Mlle de Laval.
  7. 7. Sur ce nom d’un héros de roman qu’on « donnoit toujours » au marquis de Villars, « et qui ne lui déplaisoit pas, » voyez Saint-Simon, tome II, p. 104. Le marquis, dit-il, avait été « fort amoureux » de Mlle de Bellefonds, « qui n’avoit rien et qu’il épousa » en 1651. Voyez au tome II, p. 52, la note 3 de la lettre 132.
  8. 8. Voyez les lettres du 30 octobre et du 24 février précédents.