Lettre 318, 1673 (Sévigné)

Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 198-199).
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1673

318. — DE MADAME DE COULANGES À MADAME DE SÉVIGNÉ.

À Paris, le 10e avril.

Il est minuit, c’est une raison pour ne vous point écrire ; j’en suis enragée ; j’avois résolu de répondre à votre aimable lettre ; mais voici, ma chère amie, ce qui m’en a empêchée : M. de la Rochefoucauld a passé le jour avec moi, je lui ai fait voir Mme du Fresnoi, il en est tout éperdu.

Je suis ravie que Mme de Grignan ne soit plus qu’accablée de lassitude ; la surprise et l’inquiétude que j’ai eues de son mal[1] me devoient faire attendre à toute la joie que j’ai du retour de sa santé : c’est une barbarie que de souhaiter des enfants.

Je ne veux pas oublier ce qui m’est arrivé ce matin. On m’a dit : « Madame, voilà un laquais de Mme de Thianges. » J’ai ordonné qu’on le fit entrer. Voici ce qu’il avoit à me dire : « Madame, c’est de la part de Mme de Thianges[2], qui vous prie de lui envoyer la lettre du Cheval de Mme de Sévigné, et celle de la Prairie[3]. » J’ai dit au laquais que je les porterois à sa maîtresse, et je m’en suis défaite. Vos lettres font tout le bruit qu’elles méritent, comme vous voyez. Il est certain qu’elles sont délicieuses, et vous êtes comme vos lettres.

Adieu, ma très-aimable belle. J’embrasse bien doucement cette belle Comtesse, de peur de lui faire mal : j’ai bien senti, je vous jure, sa fâcheuse aventure ; je souhaite plus que je ne l’espère qu’elle ne soit jamais exposée à de pareils accidents.

Le Roi dit hier qu’il partiroit le 25e[4] sans aucune remise.


  1. Lettre 318. — 1. D’une couche fâcheuse. Voyez la lettre de Mme de Sévigné au comte de Bussy, du 15 juillet suivant.
  2. 2. La sœur aînée de Mme de Montespan. Voyez la note 5 de la lettre 119.
  3. 3. La lettre du Cheval n’a pas été conservée. — Celle de la Prairie, datée du 22 juillet 1671, est au tome II, p. 291.
  4. 4. Le Roi partit avec la Reine le 1er mai, « pour se rendre en son armée. » (Gazette du 6 mai 1673.)