Lettre *787, 1680 (Sévigné)

1680

*787. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE ET À LA COMTESSE DE GUITAUT.

À Livry, mardi gras[1].

Non, assurément, mon très-cher Monsieur, je n’ai point su cette dernière maladie de Madame votre femme. M. de Caumartin ne me voit point, et ne m’a pas crue digne de me donner part d’une nouvelle où je prends tant d’intérêt. Bon Dieu ! quelle douleur pour vous, et que je l’aurois bien partagée ! comme je fais le soupir que je crois vous entendre faire ! Après qu’on a eu le cœur bien serré, quand il commence à se dilater et à se trouver à son aise, cet état est bien doux après celui où vous avez été. En vérité, j’entre bien tendrement dans ces différents sentiments. Mais voilà la seconde maladie mortelle depuis très-peu de mois. Le bon Dieu veut éprouver votre soumission en vous donnant toute l’horreur d’une telle perte, et puis il retient son bras. Je vous conjure de croire bien fortement que je vous aurois écrit, que j’aurois fait bien des pas pour m’instruire à point nommé des nouvelles qu’on recevoit de vous. On m’a laissée[2] dans une belle ignorance. J’étois tout étonnée de n’avoir point de vos nouvelles et que vous ne m’eussiez rien dit sur ces Grignans, que voilà bien[3] placés. Je voudrois bien que l’aîné eût un peu son tour. Ma fille est à Aix ; elle se porte mieux ; elle a trouvé un médecin à qui elle se fie et qui la gouverne ; elle souffre toute la rigueur du carnaval. Vous savez comme elle est sur ces divertissements, qu’il faut prendre par commandement ; elle y fait une

  

horrible dépense ; elle se repose assez souvent pour son argent, pendant que l’on danse, que l’on joue et que l’on veille. Pour moi, je suis venue ici passer solitairement les jours gras avec deux ou trois personnes. Je me suis parfaitement bien trouvée de cette fantaisie. Le Roi nous amènera bientôt une dauphine, dont on dit mille biens.

Adieu, Monsieur : hélas vous aviez bien mauvaise opinion de mon amitié : de me taire quand j’avois tant à dire ! Je suis affligée qu’on m’ait laissée si négligemment dans cette léthargie.

Madame, je me réjouis du fond de mon cœur de votre résurrection. Mais qu’avez-vous à mourir si souvent, et donner de si terribles craintes à ce pauvre homme et à tous vos amis ? Je n’aurois pas été des moins[4] effrayées si j’avois connu votre terrible état : n’y retombez plus, je vous prie, pour notre repos.


  1. Lettre 787 (revue sur l’autographe). — 1. Le mardi gras, en 1680, tombait au 5 mars.
  2. 2 L’autographe porte laissé, sans accord.
  3. 3. Devant bien, il y a si effacé.
  4. 4. C’est au mot moins que se termine l’autographe. Ce qui suit se trouvait sans doute sur un dernier feuillet aujourd’hui perdu, mais qui devait être encore à Époisse en 1814, date de l’édition de Klostermann, d’où nous tirons cette fin.