Bibliothèque à cinq cents (p. 10-14).

CHAPITRE IV
LA PISTE DU SERPENT

Les deux compagnons de Munroe furent obligés de se rendre aux raisons du jeune homme.

Néanmoins, lorsque l’heureux couple fut établi dans sa nouvelle demeure, « Vieux Rocher » et « Chat Rampant » résolurent en conciliabule secret, qu’ils se souviendraient, dans leurs courses à travers la prairie, qu’il était très possible pour la jeune femme d’être découverte par les Sauvages, et ils s’entendirent alors pour aller souvent à la maison et s’assurer que tout allait bien. Ils furent encore plus inquiets quand le bébé fut ajouté à la petite famille.

Munroe ne s’absentant que pour de courts intervalles, n’était pas encore dans la nécessité de laisser sa femme et son enfant seuls pendant toute une nuit. Quand, de temps en temps, il était appelé à guider un détachement à une distance éloignée, « Yeux d’étoiles » la femme de « Chat Rampant, » restait avec Marion jusqu’à ce que le mari de cette dernière fut revenu.

« Vieux Rocher » et « Chat rampant » rôdaient sans cesse à travers les plaines, à la recherche de chevelures sauvages et pour assouvir leur soif de vengeance ; ils n’étaient attachés à aucun homme et à aucun corps d’hommes. Ils ne pouvaient pas être gagnés à servir le gouvernement ou les États-Unis comme guides ou éclaireurs, quoique souvent ils fissent ce service, mais comme simples volontaires. Libres comme l’air de la prairie qu’ils respiraient, ils allaient et venaient comme bon leur semblait.

À présent que nous avons présenté nos nouveaux personnages et amené le lecteur à une autre scène, nous dirons d’abord que le captif torturé et son enfant étaient Munroe et son fils.

Nous allons maintenant dire comment il arriva qu’ils furent ainsi abandonnés tous les deux.

La femme du jeune éclaireur était très belle et n’avait que dix-huit ans. Elle était l’image de la santé et du bonheur, n’ayant jamais rien eu pour lui causer de la peine et de la fatigue, et vivant sans peur ni appréhension des Sauvages ennemis.

Elle se fiait entièrement au jugement de son mari et aurait bravé les plus grands dangers plutôt que de rester loin de lui. Elle l’aimait véritablement, profondément, et adorait son petit garçon.

S’il lui avait été permis de pénétrer l’avenir, elle aurait été paralysée d’horreur ; mais par bonheur pour elle, comme pour nous tous, elle ne savait pas ce que le lendemain lui réservait de douleur.

C’était la veille du jour où l’éclaireur infortuné et son enfant nous ont été montrés dans la plaine ; le petit enfant reposait dans les bras de sa mère, riant, gazouillant et s’amusant, pendant que Marion le berçait sur le balcon entouré de vignes de sa petite maison.

À ce moment, Marion espérait entendre d’un moment à l’autre, le bruit des sabots du cheval de son mari, sur le sentier étroit qui traversait le fond du bois, car Munroe descendait le ruisseau, après avoir fait son devoir au camp Johnston.

Considérant la distance qui les séparait des autres établissements, la loge forestière des Munroe était bien et proprement meublée. Un goût artistique avait été déployé dans l’arrangement d’une grande chambre dont les murs étaient ornés de cornes d’antilopes et de daims, de plumes d’oiseaux magnifiques, d’herbes et de mousses curieuses.

Marion, tout avertie qu’elle était que sa maison se trouvait dans un endroit dangereux sur la frontière, demeurait convaincue qu’elle devait être à l’abri de toute découverte, à cause de son isolement et de sa position à la fourche des ruisseaux, où seulement par hasard un ennemi pouvait entrer.

Si la demeure avait été située cinq milles plus haut ou plus bas sur le Concho, Marion n’aurait pas osé y demeurer une seule nuit, et certes son mari ne l’aurait pas voulu.

L’on verra aussi que si la maison avait été à cinquante verges plus loin sur le côté opposé de la rivière elle aurait été visiblement en danger d’être découverte à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Mais la difficulté de passer la rivière à gué lui était d’un grand avantage. Tout ceci, Munroe l’avait expliqué à sa femme, et celle-ci s’était entièrement confiée au jugement et à la discrétion de son mari.

Marion était ravissante telle que nous la voyons à présent, assise avec son enfant entre deux piliers couverts de vignes sous une voûte naturelle de branches d’où pendaient des festons de mousse, et éclairée par la lumière douce et mourante du soleil couchant ; ainsi encadrée dans la verdure elle était charmante à voir, surtout pour Madison Munroe au retour d’une longue journée de travail.

Hélas ! cette charmante maisonnette, vrai paradis sur terre, devait être envahie par les rouges démons du Rio Pécos.

Plus heureuse demeure n’avait jamais existé nulle part. La vie du jeune couple jusque-là avait été douce comme un beau rêve d’été, et ni l’un ni l’autre ne pensait que ce songe béni allait être changé en un horrible cauchemar, qu’ils étaient destinés tous les deux à souffrir dix mille morts, à endurer une agonie morale et physique des plus affreuses, et que même leur enfant bien-aimé devait être torturé jusqu’aux portes de la mort.

Si Marion avait été moins heureuse et moins préoccupée de douces pensées relativement au retour de son mari, elle aurait peut-être été oppressée par les ombres que projetaient les branches garnies de mousses, et par les murmures plaintifs que faisait entendre la rivière en passant à travers les roseaux de la rive.

À mesure que le soleil baissait le spectacle devenait plus lugubre, et quelqu’un qui serait venu errer en cet endroit n’aurait jamais soupçonné qu’il y avait là une habitation humaine.

Cependant, Marion attendait toujours assise sur son balcon, prêtant l’oreille de temps en temps et regardant du côté des taillis, en haut du ruisseau, à travers lesquels elle avait, jusque-là, espéré voir apparaître son époux monté sur son coursier favori. Munroe, toutefois, ne paraissait pas.

Le petit enfant, les bras autour du cou de sa mère et la tête sur son épaule, était tombé dans un paisible sommeil.

Embrasse tendrement ton enfant, Marion, car il s’écoulera bien du temps, une éternité en apparence, avant qu’il repose encore ainsi dans tes bras !

À part les bruissements prolongés du feuillage agité au-dessus de la tête de la jeune femme, et le murmure monotone des eaux courantes, tout était silencieux comme durant toute l’après-midi. À une imagination nerveuse ce silence de mort aurait pu présager un grand malheur.

Mais la jeune femme était habituée à cette solitude naturelle, et seule, l’absence prolongée de son mari la préoccupait en ce moment.

Tout à coup, un vautour vint planer au-dessus de la maisonnette. Cet oiseau de mauvais augure semblait avoir été choisi par un sort cruel pour donner le signal d’un terrible changement.

L’oiseau qui venait évidemment de se gorger de la chair de quelque animal blessé essayait de voler, d’arbre en arbre, mais soudain il tomba, avec un grand battement d’ailes à travers le feuillage et vint s’abattre sur la pelouse en fleurs, devant la maison, à dix pieds du balcon sur lequel la jeune femme était assise. Celle-ci fut étonnée de la soudaine apparition de cet oiseau de proie et du bruit qu’il avait causé.

Le gros busard restait là, ses yeux repoussants fixés sur Marion. C’était un spectacle dégoûtant, et propre en même temps à causer de l’effroi ; le bec et les plumes du vautour étaient couverts de sang figé et exhalaient une odeur infecte.

Marion ne songeait guère que cet oiseau, par sa chute, devait attirer sur elle l’attention d’un espion Apache, barbouillé et hideux, et que ce busard était destiné à faire fondre sur elle et les siens, des malheurs comme peu de mortels ont jamais été appelés à en endurer.

Il devait en être ainsi malheureusement.

À peine l’oiseau s’était-il abattu sur la pelouse, qu’à travers le taillis qui entourait le rond-point, s’élança un Apache, au visage affreusement peint. En apercevant la jeune femme et l’enfant, une exclamation de joie et d’étonnement sortit en même temps de ses lèvres.

— « Ugh » ! s’écria-t-il.

À cette exclamation, Marion répondit par un cri de vive terreur.