Bibliothèque à cinq cents (p. 7-10).

CHAPITRE III
SUR LA FRONTIÈRE

Nous avons déjà parlé d’un ruisseau boisé situé vers le nord à peu de distance du lieu où l’homme torturé avait été exposé à mourir de faim et de soif avec son enfant, à être dévoré par les loups ou écrasé par des troupeaux de buffles.

Ce ruisseau était un affluent du Rio Concho, et sur la rive nord, à quinze milles de l’endroit que nous venons de quitter, se trouvait le camp Johnston, poste du gouvernement sur la frontière.

Vers l’est, à dix-huit milles plus loin, les eaux de cette petite anse rejoignaient celles du Rio Concho.

Sur le triangle boisé formé par la réunion de ces deux cours d’eau était située une maison de billots complètement cachée à la vue et placée à un endroit qui semblait la mettre à l’abri des rouges maraudeurs des plaines.

Une bande armée aurait pu camper sur la rive opposée du Concho, et même pour les maraudeurs des montagnes apaches, la maison de billots aurait été invisible, car elle se trouvait située dans un petit rond-point naturel, à mi-chemin entre les ruisseaux et la ligne extérieure du bois, et aussi à une petite distance de la rivière et de son affluent.

Des mousses pendantes, d’épais taillis et du feuillage formaient une voûte et un mur complets au-dessus et autour de la demeure.

Cependant, c’était loin d’être un lieu sûr pour y établir sa résidence, et à l’époque de notre histoire, c’était sur la frontière l’habitation la plus éloignée.

Cette petite maisonnette, enfoncée comme un nid dans son épais feuillage et décorée d’un petit balcon, avait fait la meilleure impression sur Marion Munroe lorsque son jeune époux l’y avait amenée. C’était après un long et fatigant voyage du Fort Mason, où Munroe, étant employé comme éclaireur et comme chasseur, avait su gagner l’affection et s’assurer la main de cette perle de l’ouest.

Il y avait un an qu’ils habitaient là quand notre histoire commence, et pendant ce temps un joli petit garçon leur avait été donné pour faire la joie de la famille et embellir la maisonnette isolée.

Madison Munroe était renommé comme éclaireur et comme coureur de plaines : il était généralement appelé Munroe « l’Enragé » à cause de la fureur avec laquelle il se battait contre les Sauvages. Il avait de bonnes raisons pour la haine qu’il portait à ces bouchers des plaines, car ses parents avaient été tués et mutilés par eux et leur demeure brûlée alors qu’il était encore tout jeune. Munroe avait échappé au sort de son père et de sa mère parce qu’à ce moment il était absent, étant allé à la pêche. Il entendit cependant les cris féroces des Sauvages et se traîna à travers les bois, se cachant prudemment dans les taillis, car il se voyait exposé à une mort certaine si les démons rouges le découvraient.

De sa cachette il avait été témoin du meurtre de ses parents et de la destruction du foyer paternel ; quoique jeune encore il avait juré qu’il les vengerait, serment qu’il n’oublia jamais, comme ceux qui furent ses compagnons peuvent en rendre témoignage. Un oncle l’avait envoyé à l’école à San Antonio, et vu sa remarquable intelligence il n’avait pris que très peu de temps à s’instruire. Il retourna bientôt sur les frontières, pensant toujours à son serment. C’était pour accomplir ce vœu que le jeune Munroe avait adopté la vie d’éclaireur, préférablement à la vie retirée et paisible qui lui était offerte.

Il avait déjà recueilli maintes chevelures d’Apaches et de Comanches, trophées d’habileté et de bravoure, lorsqu’il rencontra Marion St-Clair. Le père de la jeune fille était « ranchero » près du Fort Mason quand Munroe était au service du commandant de ce poste.

Au mariage du jeune couple présidé par le chapelain du vieux et honorable bataillon, le 8e d’Infanterie, il y avait eu une joyeuse célébration dans les casernes, et les habitants des environs y étaient venus avec leurs familles.

Peu de temps après, l’officier commandant reçut l’ordre de placer un détachement d’hommes au camp Johnston, quoique ce poste eut été abandonné quelque temps auparavant. Il avait aussi ordre de dépêcher çà et là des éclaireurs parce que les tribus hostiles étaient devenues dangereuses pour les enclos à bétail.

C’est ainsi que Madison Munroe fut obligé de quitter sa jeune et charmante femme pour servir de guide et d’éclaireur à ce détachement de troupe.

En arrivant au camp Johnston, Munroe avait résolu que Marion le rejoindrait ; le jeune homme se sentit isolé et malheureux sans elle et il chercha un endroit sûr et convenable pour bâtir une demeure pour celle qu’il chérissait ; car tout annonçait qu’il serait obligé de rester quelque temps sur le haut du Rio-Concho.

Il finit par trouver à quelques milles de la station, la retraite qu’il cherchait et choisit l’endroit dont nous avons parlé ; il avait érigé seul presque en entier la maison de billots que nous avons décrite. Son aide principal fut un de ses vieux compagnons de prairie appelé « Vieux Rocher » et qui figurera dans les chapitres suivants comme habile éclaireur et ennemi dangereux des sauvages.

Quand tout fut en place dans la petite habitation, « Vieux Rocher » et un sauvage ami de la tribu des Caddo, appelé «  Chat Rampant, » que nous connaîtrons plus tard, avaient insisté pour accompagner Munroe jusqu’au Fort Mason, afin de protéger et de guider la jeune femme jusqu’à sa nouvelle demeure.

Le vieil éclaireur et le Caddo avaient essayé de persuader Munroe de ne pas amener sa femme dans une localité aussi dangereuse, mais hélas ! ils ne réussirent pas. Le jeune homme s’obstina et leur assura que Marion serait aussi en sûreté sur le bord du Concho qu’au fort Mason.

Il pensait qu’il était absurde de croire que les tribus hostiles pouvaient découvrir sa maison, car tous tes sentiers de guerre prenaient la direction du bas du pays, laissant loin derrière eux le camp Johnston et ses environs.