Les tendres épigrammes de Cydno la Lesbienne/39

(pseudonyme)
Traduction par Ibykos de Rhodes (pseudonyme).
Bibliothèque des curieux (p. 119-123).


XXXIX

HIPPOLYTE ET DÉJANIRE


Le Palais Sapphô est en deuil. Hippolyte et Déjanire vont nous quitter.

Une fièvre tuait Hippolyte. Quand Déjanire a vu sa sœur moribonde, elle s’est empoisonnée : ainsi, leurs âmes vont s’envoler ensemble du bûcher de leurs corps.

J’ai coupé moi-même leurs chevelures et je les ai consacrées, à titre de prémices, aux dieux infernaux.

J’ai dédié, soudain pieuse, une prière à Hermès qui conduira Psyché, leur âme double et une, aux Champs-Élysées.

J’ai recueilli leurs dernières paroles et, penchée, leur dernier souffle, en un baiser suprême : elles ont expiré en moi, l’une et l’autre. C’est moi qui leur ai fermé les yeux et la bouche.

Voici l’aurore.

Nous lavons et nous parfumons les belles défuntes. Puis, nous les exposons sur le seuil du palais, les pieds en avant couronnées non point d’ache ou de persil, mais de roses rouges, drapées non point de blanc, selon la coutume, mais de pourpre, avec des bandelettes safranées, selon la couleur favorite de chacune d’elles.

Les négresses ont placé là un vase rempli d’eau fraîche afin que nous puissions nous purifier, si nous nous sentons polluées par le voisinage des mortes : mais personne ne songe à s’humecter seulement le bout des doigts. Les beaux cadavres ont trop de charme.

Le bûcher s’élève, entre des buissons de laurier-rose, sur la colline de Narcisse, devant la mer.

Louons Héraclès qui apprit aux mortels la crémation lustrale ! Tant que le cadavre existe, l’âme voltige au-dessus de la bouche. Mais, dès qu’il est réduit en cendres, l’âme, docile à la baguette d’Hermès, s’envole aux Champs-Élysées avec la vitesse d’un faucon.

Nous les avons couchées sur le monceau de bois de pommier, le visage tourné vers l’Orient. Elles sourient au soleil.

Adieu, Hippolyte ! Adieu, Déjanire !

Nous brûlons avec elles leurs robes, leurs parfums, leurs bibelots favoris. Nous faisons les pleureuses. Nous prions le zéphyr d’accélérer la flamme.

Tout est fini. Nous éteignons le bûcher avec du vin de Cypre. Nous recueillons les os en une seule urne d’or et nous jetons les cendres dans la mer, pour obéir à la dernière volonté des deux amies.

Nous psalmodions les nénies. Je prononce l’oraison funèbre d’Hippolyte, et Mnémosyne celle de Déjanire.

Aucune des sœurs n’oubliera Hippolyte et Déjanire. Plusieurs années de suite, quand reviendra l’anniversaire, nous irons chanter en chœur les nénies et répandre des roses rouges à la place d’où nous jetâmes les cendres unanimes.