Traduction par René Auscher.
Hachette & Cie (p. 35-40).

Troupe de skieurs militaires

départ d’une troupe de skieurs militaires
(Cliché Rol.)


LE SKI

HISTOIRE DU SKI

Le premier ski date des temps préhistoriques ; il a dû, tout d’abord sous forme de branche grossièrement fixée aux pieds, soutenir le chasseur poursuivant dans la neige le gibier qui fuyait avec effort.

Nous avons, sur les skis rudimentaires employés dans l’antiquité, témoignage de l’historien grec Xénophon qui, dans sa Retraite célèbre, en Asie Mineure, environ quatre cents ans avant Jésus-Christ, vit les peuplades de l’Arménie montagneuse attacher des sacs sous les pieds de leurs chevaux, lorsque ces derniers enfonçaient dans la neige jusqu’au ventre.

Strabon raconte aussi que, vingt ans avant Jésus-Christ, les Arméniens employaient des disques contre l’enlisement dans la neige. Des instruments analogues sont encore partout employés dans les pays montagneux.

L’inventeur du ski fut l’homme qui, sur de la neige gelée et le long d’une pente, commença à glisser malgré lui, et à qui, à la suite de cet événement, vint la pensée de faciliter la glissade en allongeant sa chaussure, en la garnissant par-dessous avec de la peau ou du bois et en l’incurvant à l’avant : il a transformé la marche en une glissade continue. En plaine, il avance par la poussée qu’imprime chaque jambe tour à tour, et il dévale des pentes avec aisance et légèreté.

Ce que nous considérons aujourd’hui comme une transition très naturelle de la raquette au ski fut, dans l’histoire des peuples du Nord, une découverte des plus importantes, dont chacun des perfectionnements remonte bien avant dans le passé. Un des chapitres les plus intéressants de l’histoire du ski est celui qui étudie comment, étant donnée la forme primitive que nous ne connaissons pas exactement, l’esprit humain a créé, conformément aux climats, aux aptitudes du corps et à la matière première, l’étonnante variété de formes de skis connus, depuis les anciens patins norvégiens jusqu’aux skis de plaine suédois atteignant trois mètres de longueur, depuis les lourds patins de bois des Giljaques jusqu’à l’élégant ski de Telemark.

Bien que la Scandinavie ne soit pas le pays d’origine du ski — on peut en toute certitude l’affirmer — c’est là pourtant qu’il prit son plus grand développement. Etant donné que dans la région des monts Altaï et autour du lac Baïkal, en Sibérie, il y a tous les ans, pendant de longs hivers, les champs de neige les plus profonds et les plus étendus du globe, on lui a attribué chacune de ces parties de la Sibérie comme son véritable pays d’origine. Cette théorie est séduisante : c’est seulement là où la lutte pour la vie presse le plus durement l’individu que doivent nécessairement se créer les inventions qui lui facilitent ses moyens d’existence. C’est ainsi que les habitants des espaces neigeux sibériens devaient arriver à la création et à l’usage du ski.

De l’Asie septentrionale deux voies d’expansion pouvaient s’offrir. La première conduisait, par le détroit de Behring, aux Esquimaux de l’Amérique du Nord ; l’autre, par l’intermédiaire des Finlandais et des Lapons, vers la Suède et la Norvège actuelles.

Pour les Lapons de la Norvège montagneuse, le ski est le vaisseau qui les conduit, aussi bien quand il s’agit de garder leurs troupeaux que quand il faut chasser les ours et les loups qui menacent leurs rennes. On ne peut pas plus se les représenter sans leurs skis que les Esquimaux du Groenland sans leur cajak, il n’est donc pas étonnant que dans les chansons de geste, les récits, la mythologie et les proverbes de ces pays, ils jouent un rôle important.

Combien répandu a dû être le ski, pour que dans un ancien texte de loi norvégien, parvenu jusqu’en Islande, il soit dit que le proscrit doit être chassé aussi loin « que le Lapon s’éloigne sur ses skis » ! Dans les vieilles chansons héroïques du Xe siècle, on trouve souvent la jolie comparaison du glissement du bateau sur la mer avec la descente légère du ski. L’un des anciens Skaldes, Guthorn Sindre, appelle, avec une poétique audace, le vaisseau : « svanevangens ski » (le ski de la mer). Le ski était cher aux Norvégiens et les chansons populaires du XVIe siècle permettent de s’en rendre compte.

Mais là où le ski n’était pas précisément une nécessité de l’existence, on constate des fluctuations dans son histoire car le fait qu’une invention est utile ne suffit pas pour y attacher l’homme d’une façon durable.

On peut aussi appliquer au ski le vieux mot de Ben Akbas « que tout a déjà existé », et il est peu probable qu’au XXIe siècle le ski se pratique encore exactement comme aujourd’hui.

Que les incrédules écoutent l’histoire des skieurs de la Carniole, dans la deuxième moitié du VIIe siècle. Ils avaient fait une « invention remarquable », ainsi que le rapporte l’historien Valvassor qui écrivit, à Laibach en 789, sur son pays, un in-folio en parchemin. Il s’agit des skis que les paysans des montagnes neigeuses de l’Autriche employaient sans doute de façon très habile. Bien qu’ils descendissent simplement les pentes avec un fort « bâton sous l’épaule » sur « deux petites planchettes épaisses d’un quart de pouce, large d’un demi-pied et longues d’environ cinq pieds, ils connaissaient cependant déjà très bien l’art des virages et ce qu’on appelle en norvégien « slalom ». En effet, « il n’y avait pour eux aucune montagne trop raide ou trop plantée de gros arbres qu’ils ne pussent traverser par ces moyens ; ils tournaient et ils viraient comme des serpents quand quelque obstacle les gênait dans leur trajet. La route était-elle libre, ils descendaient tout droit devant eux… » C’est ainsi que s’exprime Richard Valvassor dans son ouvrage sur La gloire du grand duché de Carniole. Telle est la première trace du ski dans l’Europe centrale. Elle fut complètement effacée dans le duché lui-même jusqu’à ce que le professeur Frischauf eût remis au jour l’ancien texte.

Les écrivains de l’Europe méridionale n’ignoraient nullement, dans les premiers siècles de notre ère, que les Scandinaves allaient à ski. Le Grec Procope et le Goth Jordan savaient déjà que les Normands donnaient à leurs voisins les Finlandais et les Lapons le surnom de « Skridfinnen » (Skrida veut dire glisser).

Déjà au XVIe siècle le ski était utilisé comme sport et non seulement comme moyen de transport. Olaus Magnus le prouve, en 1555, dans son ouvrage sur les peuples du Nord. Il y signale, en effet, dans un latin très confus, que des concours de skis furent organisés et que « des femmes aussi agiles que les hommes allèrent à la chasse par ce moyen ».

Le sport norvégien du ski des temps modernes ne date cependant que d’environ quarante ans. Les citadins, en particulier ceux de la grande ville de Christiania, furent d’abord conquis au ski sportif lorsque les affaires, les exigences de la civilisation leur firent sentir la nécessité des exercices corporels. Les débuts furent là-bas, en 1870, à peu près aussi singuliers que dans la Forêt-Noire, dans le Mont des Géants ou dans le Harz. Ce fut seulement en 1879, lorsqu’un fils des paysans de Telemark, un jeune cordonnier, passa d’un saut vigoureux et élégant le tremplin du Iver Slökken, près de Christiania, que commença l’ère nationale du ski norvégien. « Ainsi qu’un météore, il tomba au milieu de la foule ébahie qui se tenait là comme ensorcelée… » « Les habitants de Telemark furent invités et vinrent aux courses de Christiania, les hourras montèrent aux cieux, l’air en trembla et les vieux arbres qui entourent le Husby Hugel en tressaillirent. » Ainsi écrit Huitfeld, qui était au nombre des spectateurs.

Les chemins de fer et la poste n’apportèrent pas seulement la nouvelle du nouveau sport dans les montagnes de l’Allemagne du Nord. Des skieurs norvégiens y firent bientôt leur apparition.

Mais les quelques individus de la Forêt-Noire, des Monts des Géants et de la Suisse, qui, tout d’abord, s’étaient attaché aux pieds les longues planches venues de Norvège, firent de bien piètres débuts. Vers 1890, on commença seulement à progresser lentement, très lentement. C’est alors que parvint aussi la nouvelle de l’expédition de Nansen à travers le Groenland avec des skis et, bientôt après, parut son ouvrage accompagné d’une histoire et d’une technique du ski.


UN TRAÎNEAU ATTELÉ EN TANDEM.
(Cliché Tairraz.)

L’influence des travaux accomplis par Nansen et de son ouvrage eut raison des hésitations qui subsistaient au sujet du sport nouveau.

Un élan inouï se manifesta, qui parvint à son apogée lorsque des étudiants norvégiens, à Darmstadt, montrèrent dans la Forêt-Noire comment on peut utilement se servir des skis. Pendant longtemps, les skieurs de cette région furent à la tête du mouvement.

Une école autonome, avec une technique particulière, indépendante des exemples norvégiens, se développa en Autriche, surtout dans les environs de Vienne.

De nombreux groupements de skieurs ont formé des associations nationales et ils comptent actuellement près de 10.000 membres. Au mois de janvier et de février, presque toutes les semaines, il y a, sur les pentes couvertes de neige, des concours, des fêtes et des courses. Le ski est à la mode ; puisse-t-il devenir encore quelque chose de plus !