Les révélations du crime ou Cambray et ses complices/Chapitre XVI

CHAPITRE XVI.


Procès de Cambray et de Mathieu. — Conviction et Sentence. — La première nuit des Condamnés. —


Pendant le long et intéressant procès qu’ont eu à subir Cambray et Mathieu pour le vol commis chez Madame Montgomery, duquel nous avons donné plus haut les détails, les deux accusés, assis à la barre des criminels au-dessus de la foule qui encombrait la Cour ce jour-là, sont restés calmes et impassibles, promenant tour-à-tour avec assurance un œil ferme et scrutateur sur les témoins, les Juges, et le Jury, et lançant par fois à quelques personnes parmi la foule un regard dédaigneux ou menaçant. Mathieu était surtout d’un sang-froid imperturbable, tandisque son complice, Cambray, plus capable de sentir et d’apprécier sa position, semblait éprouver quelque chose de violent à l’intérieur et trahissait par la répression convulsive de ses traits la violence de ses émotions : ce n’étaient point de la crainte ni le remords, c’étaient du dépit et du désappointement. Les souffrances et le mal-aise qu’il avait éprouvés dans la prison étaient profondément gravés sur sa figure ; quelques légères contractions autour de la bouche, indices infaillibles des angoisses et des souffrances de l’esprit, détruisaient un peu la sérénité feinte de son expression, et cet homme qui avait été si fort, si brillant de jeunesse, paraissait maintenant malade et languissant. Tout le monde le savait coupable, et pourtant l’on voyait plus d’un œil de compassion se tourner vers lui. Maints badauds, pleins de bonhommie et très honnêtes citoyens du reste, voyaient dans ce scélérat un homme au-dessus du vulgaire, et se fesaient les sincères admirateurs de sa grandeur d’âme.

Quand Waterworth, leur complice, est entré pour déposer contre les accusés, ceux-ci se sont levés brusquement, et l’ont fixé pendant quelque temps avec des yeux de feu, et qui semblaient vouloir plonger dans le cœur du témoin. Mais le dénonciateur s’était préparé à cette rencontre ; car il a levé sur Cambray un œil calme et assuré, et après l’avoir regardé un moment sans éprouver d’émotion en apparence, il s’est tourné vers la Cour et a donné son témoignage avec précision et sang-froid. On appercevait en lui un homme qui avait pris une forte détermination de tout dévoiler, et qui avait dû combattre longtemps avec lui-même avant de se résoudre à cette trahison, tant il parlait avec abandon et résignation. Le sentiment de sa propre conservation n’avait pas éteint le remords que lui fesait éprouver la trahison qu’il exerçait contre ses camarades ; espèce de sentiment confus, qui reste fréquemment au fonds du cœur des scélérats, quand tous les autres penchans honnêtes l’ont abandonné.

Les témoignages étaient accablans contre les accusés, et la seule défense qu’a jugé à propos de faire le conseil de Cambray, s’est réduit à mettre en question la crédibilité du complice ; celle de Mathieu, à demander à Madame Montgomery, si, quoiqu’elle eût entendu prononcer le nom de Mathieu, il n’était pas possible que ce fût une autre personne que lui dont il était question s’il n’y avait pas en effet beaucoup de personnes qui portent ce nom-là. Les Jurés se sont retirés un instant, et sont rentrés bientôt au milieu de l’anxiété générale. Tout le monde, et surtout les prisonniers, cherchaient à lire dans leur figure le verdict, qu’ils allaient rendre. Il s’est fait un moment de silence et le fatal verdict a été prononcé, comme suit : Charles Cambray et Nicolas Mathieu sont coupables du crime dont ils sont accusés.

Mathieu, en recevant ce verdict, n’a paru éprouver aucune émotion quelconque ; il n’a pas même fait un mouvement de contrainte et d’effort, qui indiquât une impassibilité affectée. Cambray, au contraire, a laissé voir un moment d’agitation et d’abattement : mille pensées diverses ont semblé bouleverser son âme en même temps, et peser sur son imagination comme autant de reproches.

Leur procès était terminé : on les a ramenés en prison au milieu de la foule. Cambray, qui était malade et se prétendait trop faible pour marcher, s’y est fait conduire en voiture.

Quelques jours après, quand ils ont reçu leur sentence de mort, prononcée avec une solennité imposante et un accent de douleur et de bienveillance sympathique par le Président de la Cour, en présence d’une multitude attendrie, morne et silencieuse, les Criminels ont soutenu cette foudroyante apostrophe avec fermeté et hardiesse. Cependant Cambray, prenant une attitude fière et hautaine et relevant la tête, a laissé couler le long de ses joues quelques grosses larmes, qu’il eût été difficile de prendre pour des larmes de faiblesse ou de regret, tandisque que Mathieu, aussi à son aise que s’il n’eût pas été question de lui, s’amusait à jouer avec l’une de ses mains sur la barre des criminels : mouvement qui n’eut été qu’insignifiant ou ridicule dans une autre occasion, mais qui dans celle-ci laissait dans l’âme du spectateur une impression pénible et douloureuse.




La première nuit que passe, dans le cachot, le condamné, après avoir reçu sa sentence de mort, est une nuit d’oppression, d’horreur, de palpitante agonie, qu’il nous est impossible de peindre, d’analyser. Car qui pourrait faire comprendre à l’homme plein de santé et d’espoir les désolantes sensations qu’éprouve le malheureux dont l’existence est assurée d’une mort prochaine et infâme, d’un terme fixe et connu ? Chaque mouvement, chaque pensée, chaque crispation de nerfs est pour lui un pas vers sa fin, un fil retranché au lien qui le tient à la vie, et ajouté à celui qui doit le lancer dans l’éternité ; un appel retentissant qui l’enlève à la justice des hommes pour le livrer à la justice de Dieu. Toujours devant les yeux des murs grisâtres et sourds, une clarté livide, des portes énormes, des gardiens, des chaînes, un bourreau, et puis l’infamie et la mort ; la mort ! spectre affreux, que tout le monde a vu et doit voir, et dont tout le monde semble douter ; la mort ! que le condamné est seul destiné à regarder face-à-face, debout devant lui, inexorable, inflexible : telle est le sort du malheureux sur la tête duquel pèse une sentence de mort. C’est la certitude de sa fin, à une époque fixe, qui double et triple ses souffrances. S’il avait encore la satisfaction de pouvoir se convaincre de l’équité de la loi ! mais il y a toujours au fond de son cœur cette voix désespérante qui lui crie, avec l’accent de la rage : « l’homme a-t-il le droit de t’ôter la vie ? n’as-tu pas de ton côté celui de qui tu la tiens ? » et il se déchaîne contre la société, s’obstine dans le crime, et arrive sur l’échafaud la haine et la vengeance dans l’âme ! Telles furent à peu près les sensations qu’éprouvèrent Cambray et Mathieu, modifiées toutefois par le caractère particulier de l’un et de l’autre : le premier s’emporta d’abord comme une bête féroce, bondissant de frénésie, secouant ses chaînes, criant, hurlant, et puis se calmant bientôt pour réfléchir à tête reposée sur sa condition, trouver des expédiens, gagner des sympathies, et conjurer encore une fois l’orage ; le second, plus résigné et moins violent, resta sombre et froid, ne nourissant aucun espoir d’échapper au gibet, et ne voyant dans tout cela qu’une conséquence naturelle de sa conduite. Mais bientôt cette élasticité de l’esprit humain, dont nous avons parlé plus haut, qui double la force et l’énergie du caractère, qui familiarise avec toutes les situations, et qui finit par nous soustraire à l’ivresse du plaisir comme à l’agonie de la souffrance, vint rétablir le calme dans l’esprit de nos héros et leur permettre de passer le jour avec assez d’indifférence et de dormir la nuit profondément. Après quarante-huit heures leur grande douleur était passée… Cependant, Cambray et Mathieu demandèrent des Ministres de la religion : Mathieu eût un prêtre Catholique, Cambray eût des prêtres de toutes les dénominations, et feignit d’adopter l’opinion de chacun d’eux. Bientôt le vulgaire répondit qu’il était repentant et contrit, et le proclama comme une ouaille ramenée au bercail, dont le martyre allait couronner l’édifiante conversion.