Les révélations du crime ou Cambray et ses complices/Chapitre XVII

CHAPITRE XVII.


La Religion au cachot. — Le caractère de Cambray se montre sous un nouveau point de vue.


Comme nous l’avons dit dans le chapitre précédent, Cambray demanda et reçut des ministres de toutes les croyances religieuses, et parut flotter incertain entre toutes les doctrines pendant près de deux jours. Enfin il se détermina en apparence pour le Catholicisme, et feignit d’en adopter tous les rites : il ne cessa pourtant point de voir les ministres des autres églises ; car son objet, ainsi que nous le verrons ci-après, était de les intéresser tous en sa faveur. Le prêtre catholique qui le visita dans son cachot était le même qui, trompé par sa fausse apparence d’honnêteté, le fréquentait en qualité d’ami avant son arrestation. Il ne l’avait point vu depuis cette époque, et en entrant dans sa cellule, il eut de la peine à le reconnaître.

— « Eh ! bien, Cambray, » lui dit le jeune prêtre avec douceur, « comment êtes-vous ? vous éprouvez sans doute du mal-aise, quelques peines d’esprit ? Je viens, en autant qu’il est en mon pouvoir, vous offrir quelques consolations. Je vous ai bien connu une fois, et je ne pensais pas cela de vous… Vous m’avez bien trompé… Mais il serait cruel de vous en faire reproche en ce moment… Il vaut mieux vous faciliter le chemin du repentir, vous ouvrir la voie de la réconciliation avec Dieu, si toutefois vous voulez vous prêter à l’œuvre de la grâce sur vous. »

— « Ah ! ciel, » répondit Cambray, « de tout mon cœur ! Je suis malade, je souffre beaucoup, mais ce n’est rien en comparaison de mes peines d’esprit. Je le sens, il n’y a plus pour moi de remède, de consolation, de refuge que dans la religion. Les hommes ne me sont plus rien ; Dieu seul peut encore me sauver, si j’obtiens qu’il me pardonne… Mais une chose m’embarrasse. Parmi tant de religions, que je ne connais pas plus l’une que l’autre, laquelle choisir, laquelle est la meilleure ? comment un homme comme moi peut-il en un instant se décider sur un objet si important, sans craindre de se tromper ? »

« Vos momens sont courts et précieux, » dit le jeune prêtre, « et vous êtes bien ignorant dans la science du salut ! comme prêtre catholique, et d’après mes propres convictions, je dois vous dire, en face de Dieu et des hommes que je prends en témoignage de ma sincérité, et suivant les paroles des fondateurs du christianisme, que hors de l’église catholique, apostolique et romaine, il n’y a pas de salut ! Mais comme je vous l’ai dit, vos momens sont courts et précieux ! je pourrais vous prouver chacun des dogmes de notre religion ; mais en avez-vous le temps ? Le Seigneur n’a pas dit : discutez et prouvez, mais croyez et priez. Ce n’est point avec les subtilités contentieuses de l’esprit qu’il faut marcher dans la voie du salut, mais avec un cœur humble, soumis et plein de foi. Et la foi ! c’est une grâce qui s’obtient du ciel, quand on la demande avec ferveur, et qu’on lui fait le sacrifice pénible de ses passions, de son orgueil et de ses pensées ! Si donc vous voulez vous jeter dans les bras de la religion catholique, dites-le, et je me dévouerai tout entier à votre conversion ; je ferai passer dans votre âme les douces consolations de l’évangile ; peut-être que les paroles du Sauveur vous attendriront, et que l’exemple de sa vie vous inspirera l’horreur du péché. Ne désespérez pas ; car la religion chrétienne, est une religion d’amour, de charité et de compassion. Elle verse également le baume de ses consolations dans des hôpitaux et dans les prisons, dans la cabane du pauvre et dans les palais des riches, sur les sollicitudes de l’homme vertueux et sur les remords du pécheur converti. Vos crimes sont grands, sans doute ; mais Dieu est plein de miséricorde : croyez, pleurez et priez, et son cœur vous est ouvert ! »

Ces paroles, prononcées avec une onction ineffable, avaient presque ému le condamné, et il s’écria avec cet accent de douleur, de repentir passager, auquel il n’est pas donné aux plus grands scélérats de se soustraire :

— « C’en est fait, je me jette, sans plus tarder, dans les bras de la miséricorde divine ; je déplore mes crimes, et j’en demande sincèrement le pardon ; mais le temps est si court ! N’y aurait-il aucun moyen d’obtenir que le jour de l’exécution soit retardé ? Si des personnes influentes et vertueuses s’intéressaient pour moi… Mais non, la justice humaine qui me condamne ne m’accorde pas même le temps du repentir… Croyez-vous qu’il serait inutile de faire une requête ? »

— « Ne comptez pas là-dessus, car vous pourriez vous abuser, et vous entretenir dans une dangereuse sécurité. Peut-être est-il mieux pour le salut de votre âme, que la mort vous enlève dans ce moment de bonne disposition ; car la chair est faible, et l’inclination forte dans une nature viciée comme la vôtre : cependant j’y songerai, je me consulterai, et surtout je me conduirai d’après ce qu’il y aura à espérer de vous… »

Elle est touchante et sublime la religion du Christ, quand elle adresse au malheureux ses paroles d’amour et de bienveillance ! elle est noble et philanthropique la mission du Prêtre qui vient jusques dans le cachot exercer son ministère auguste de paix et de consolation ! Et il est gangréné jusqu’au cœur, il est incurable, l’homme qui se refuse à ces séduisantes caresses, et qui méprise le baume de des consolations ! Cependant pourquoi la religion pardonne-t-elle, quand la loi condamne et est inexorable ? la première a horreur du sang ; la seconde se plait à le voir couler ; la première offre une planche de salut au malheureux qui veut se repentir ; la seconde lui donne pour consolation le désespoir et la mort ! La loi, qui établit la peine de mort, est donc inhumaine ? que dis-je, elle est presque impie ? Elle prive un homme de son existence actuelle, et rend douteuse son existence future ! Songez-y bien, législateurs ; et voyez s’il n’y a pas quelque moyen de réformer les hommes, au lieu de les tuer ! Il est vrai que les exécutions sont rares, mais la loi existe ! Et si elle n’est pas mise à exécution, elle n’est que dangereuse, car elle est un gage certain d’impunité et une invitation au crime ! Le scélérat, qui se prépare à violer les lois, n’a en vue que les châtimens dont elles le menacent, et s’il entrevoit les moyens d’y échapper, il se rassure bientôt, sans s’occuper beaucoup des peines secondaires qui peuvent l’atteindre, mais qu’il n’a pas devant les yeux.

« Enfin, » dit Cambray, (car il faut revenir à notre sujet,) « je me flatte que vous voudrez bien songer au moyen de faire commuer ma sentence ! je vous reverrai demain, car je n’ai jamais été baptisé, je pense. »

— « Oui, je reviendrai demain, » dit le jeune Prêtre, « adieu ! vivez en paix, mais rappelez-vous que vous devez comparaître dans trois jours devant le tribunal de l’Éternel. »

Et il sortit.

« Je ne désespère pas, » dit alors Cambray à Mathieu qui pendant toute cette entrevue n’avait pas dit mot : « si je puis intéresser le clergé en ma ferveur, nous sommes sauvés ! » et il réprima un sourire d’espérance et de satisfaction ; car il était à demi-contrit, à demi-triomphant.

— « Ça prend bonne couleur, » dit Mathieu, « ça prend bonne couleur. »