Les mystères du château Roy/01/04

CHAPITRE
IV
M. et MADAME ROY

De retour de leur voyage de noces autour de la Gaspésie, les nouveaux époux Roy vinrent s’installer dans leur maison de campagne. Disons plutôt dans leur château, car les gens de la région l’avait surnommé le château Roy.

C’est sous ce nom que nous connaîtrons leur demeure dans la suite. Dès qu’ils furent revenus au Château, ils firent subir de grandes réparations et le tout se fit bien entendu au goût de Mme Roy, car M. Roy était très orgueilleux de sa nouvelle épouse et n’aurait pas voulu que Jeanne ne fut contrariée pour le moindre caprice.

Les réparations furent finies pour l’arrivée de Thérèse pour les vacances. En sortant du couvent Thérèse passa une semaine chez sa cousine Cécile. Son ami Walter en profita pour lui rendre visite tous les jours, attendu qu’il demeurait tout près.

Ces deux jeunes cœurs étaient épris d’un amour sincère et inséparable. Walter vint même la reconduire chez elle accompagné de Cécile et de Roland.

Jeanne s’informa de ce jeune homme et lorsqu’elle sut que Walter était bien l’ami de Thérèse et non un camarade elle en fut très contrariée mais n’en fit rien voir.

Elle s’empressa tellement et eu tellement d’égards pour Thérèse que M. Roy finit par lui dire : — Si je ne te connaissais pas je croirais réellement que Thérèse est ta propre fille.

— Lorsque je t’ai épousé, répondit Jeanne j’ai pris des engagements et je m’efforce de m’en rendre digne. Quand on aime bien son mari on aime bien tout ce qui lui touche.

— Je suis très heureux de voir ainsi lui répondit son mari et tu peux être assurée qu’il en est de même pour moi.

Quelques jours plus tard, Walter revint rendre visite à Thérèse, il revint plusieurs fois, ce qui mettait de plus en plus Jeanne dans l’inquiétude.

Alors un soir après y avoir mûrement réfléchi, elle aborda son mari en ses termes :

— Ce soir mon chéri, j’ai à t’entretenir de notre fille. Permets-moi de l’appeler ainsi car je la considère comme telle.

— De quoi s’agit-il ma chère Jeanne ?

— Eh ! bien ce monsieur Walter m’intrigue beaucoup. Je me suis informé de sa personne à M. le Docteur Pierre un de ses confrères, un ami de mon frère. Il me conseille d’avertir Thérèse qu’elle était mieux d’être déçu aujourd’hui que d’être déshonorée demain. Il a même dit au Dr Pierre qu’il n’était pas prêt à se marier, que ce serait dans son pays qu’il irait se choisir une épouse. C’est un Allemand et un viveur m’a-t-il dit. Un homme qui préfère beaucoup mieux effeuiller la rose blonde que la cueillir. Comme j’ai recueilli d’aussi mauvais renseignement sur son compte je me suis empressé de t’avertir afin que tu puisses mettre fin à ces fréquentations qui pourraient peut-être un jour nous occasionner de la peine.

— Je te remercie pour l’intérêt que tu témoignes vis à vis de Thérèse, et demain je verrai à ce que tout cela soit fini.

Le lendemain après le diner il convoqua Thérèse dans sa bibliothèque il la fit asseoir en face de lui et lui demanda.

— Tu l’aimes beaucoup ton Monsieur Walter ?

— Oh ! Oui beaucoup.

— Tu as même l’intention de l’épouser je crois ?

— Elle hésita.

— Sois franche avec moi.

— Oui, et je crois que j’aurai ce bonheur.

— Non, car il faut que tu l’abandonnes.

— C’est impossible

— Pourtant il le faut.

Elle se leva et s’apprêtait à quitter les lieux.

Il lui saisit la main d’un mouvement brusque et tendre, remarquant la petitesse et la fragilité de son poignet, il lui fit reprendre son siège.

— Je te dis jeune obstinée qu’il le faut, j’aimerais mieux mourir que de te voir épouser un hypocrite à transformation, qu’un coureur de sensations dites rares, en un mot un artificiel. La sincérité même dure ne m’effraie pas pour toi. C’est le perpétuel mensonge qui m’effraie. Crois-moi Thérèse, à peine mariée, s’il te mariait, tu chercherais en vain ton mari, tu ne le trouverais nulle part et quand tu croirais l’avoir trouvé ce sera encore pour le perdre.

— Laisse-moi papa, tes arguments sont forts, tu les ajustes bien mais ils ne sont pas justes. Walter te déplaît c’est ton droit. Il me plaît, c’est le mien.

— Tu as envie de lui appartenir même malgré moi ?

— Oui j’ai envie de lui appartenir. S’il me faut souffrir, ce sera bon de souffrir pour sa faute et de pleurer à cause de lui. Remarquez que je ne me marierai pas pour avoir au plus vite mon héritage mais bien parce que j’aimerai.

— Je suis prêt à te donner ton héritage tout de suite si tu veux me promettre de l’abandonner.

— Je vous remercie.

Eh bien ! finissons-en c’est fini, tu m’entends bien, et je te défends de le recevoir et lorsqu’il reviendra c’est moi qui le recevrai. Sur quoi il la congédia.

Elle monta dans sa chambre se laissa tomber sur son lit et pleura amèrement pendant de longues heures, se demandant ce qui avait bien pu bouleverser son père, et l’avoir tourné si mal contre son ami. Elle aurait bien voulu le recevoir, cet ami chéri, lui expliquer qu’elle n’était pour rien dans cette affaire. Elle le voyait loin, le cœur triste, se demandant ce qui avait bien pu changer Thérèse si brusquement. Elle finit par s’endormir en faisant des soubresauts. Elle était loin de se douter que Walter était à la porte en ce moment demandant à son père une entrevue avec Melle Thérèse.

M. Roy lui répondit.

— Non Monsieur. Elle est sortie et pour vous, elle sera désormais toujours sortie. Si vous voulez bien ne plus la revoir, je vous en serais très obligé. Bonjour, et la porte se referma brutalement.

Walter regarda pendant quelque temps la porte qui venait de se refermer si brutalement sur lui. Il était fort surpris et il se demanda même s’il ne rêvait pas. Il remonta alors dans sa voiture et reprit la route de Montréal : se demandant ce qui pouvait bien s’être passé au Château pour qu’on lui fit une si mauvaise réception.

Il entra chez lui se promettant bien de revoir Thérèse et d’avoir une explication.

Tous les jours il se rendait dans les environs du Château pour guetter la sortie de Thérèse car il voulait lui parler seul à seul. Enfin, un jour il la vit sortir se dirigeant vers le village : Il partit aussitôt à sa poursuite et la rejoignit bientôt.

Elle fut fort surprise de le voir apparaître à un moment aussi imprévu. Il la fit monter près de lui et il partit à une vive allure dépassa le village de quelques milles. Thérèse se laissait emporter rêveuse. Ils ne se regardaient même pas l’un et l’autre on aurait cru à une évasion, ou des criminels en fuite. Il arrêta dans un endroit isolé afin de n’être pas remarqué par les passants.

— Tu dois sans doute savoir pourquoi je t’ai apparu aussi soudainement.

— Je m’en doute.

Eh bien ! que s’est-il passé ?

— Impossible de te l’expliquer.

— Pourquoi m’a-t-on fermé la porte au nez quand je suis allé pour te voir ?

— Je savais même pas que tu étais venu.

— Ai-je fait quelque chose de désobligeant à tes parents ou à toi-même ?

— Moi je n’ai rien à te reprocher, et pour ce qui est de mes parents je n’ai eu connaissance de rien et cela me fait beaucoup souffrir de nous voir réduits à ce point sans pouvoir en connaître la cause.

— Dans ce cas tu n’as aucunement changé tu m’aimes toujours aussi sincèrement.

— Oui, mon chéri.

Eh bien ! qu’allons-nous faire ?

— Je n’en ai aucune idée.

— Moi j’en ai une si tu y consens… Et il arriva ce qui arrive malheureusement à certaines jeunes filles quand les parents veulent trop sans raison suffisante, se rendre maître de leurs sentiments. Six mois plus tard on dut enfermer Thérèse afin que personne ne s’aperçut dans quelle position elle se trouvait.

Jeanne était beaucoup déconcertée de la voir dans cet état, car elle voyait dix mille dollars lui échapper. Elle ne se décourageait pas et trouva un moyen ingénieux.

Un soir que M. Roy était beaucoup atterré, se demandant ce qu’il devrait faire pour éviter le scandale de Thérèse, Jeanne vint en aide : — Tu as l’air bien découragé, as-tu quelque chose qui ne va pas ?

— C’est Thérèse qui me cause tous ces soucis, il faudra que je finisse par consentir à son union.

— Je ne crois pas que cela soit nécessaire, dit Jeanne, j’ai trouvé un autre remède aujourd’hui pendant que tu étais allé en ville. Le Dr Pierre est venu et me demanda si les amours de Thérèse avec M. Walter étaient finis et si je croyais qu’elle le recevrait encore comme son ami. Je lui ai dit dans quelle position elle était et c’est lui qui me donna le moyen à prendre.

— Je suis prêt me dit-il à venir pour sa maladie, qu’on porte l’enfant au baptême le soir, afin que tout soit tenu secret, qu’on le porte ensuite dans une famille éloignée pour le faire élever, de cette manière personne ne s’apercevra de rien. Après quoi je suis prêt à l’épouser si elle veut bien de moi pour mari, car je ne lui tiendrai aucunement compte d’avoir été dupée par un ensorceleur et un hypocrite de cette trempe.

Voilà ce que m’a dit le Dr Pierre, c’est pourquoi je ne crois pas que tu sois forcé de consentir à son union avec un homme qui ne fera sûrement pas son bonheur.

L’idée est — très bonne, et les choses s’arrangent bien, mais j’y réfléchirai, quand même et l’on verra.