Les mystères du château Roy/01/03

CHAPITRE
III
JEANNE ET PIERRE

Il est cinq heures du soir. Une jeune fille emmitouflée dans un manteau de fourrures se promène devant l’université, semblant attendre quelqu’un. En effet, un jeune homme d’une vingtaine d’années sort et l’aborde aussitôt. Ils se firent conduire par un taxi, dans un hôtel fashionable de la ville et s’enfermèrent dans un salon. Ils se firent servir chacun une consommation.

Jeanne enleva son manteau et son chapeau et s’installa confortablement dans un fauteuil près d’une table. Pierre en fit autant et prenant un siège, s’installa près d’elle.

Ils formaient certainement le couple le plus idéal et le plus charmant qu’on puisse imaginer. Elle avec ses traits délicats, son corps de déesse, elle possédait toutes les qualités qu’une femme puisse rêver de posséder pour pouvoir séduire un homme. Lui de son côté était l’homme idéal et tout désigné pour séduire les femmes. Il était surnommé parmi ses confrères, « La coqueluche des femmes ». Cependant, malgré tous ces attraits, on pouvait remarquer dans les regards de chacun des lueurs louches qui ne respiraient pas tout-à-fait la franchise. Des grands yeux noirs de Jeanne, s’échappaient des éclats métalliques, lorsqu’elle parlait avec animation et ce regard froid et chaud à la fois avait pour don de faire fléchir Pierre à tous les caprices de son amante.

Ils se regardèrent quelques secondes, alors Jeanne prenant son verre et en tendant un à Pierre, lui dit.

— Mon cher. J’ai fait une découverte merveilleuse. J’ai trouvé tout ce qu’il nous faut pour être heureux.

— Que veux-tu dire ? lui demanda Pierre.

— Je veux dire que j’ai un voisin, Monsieur Roy, et qu’il est riche de près d’un million de dollars.

— Quelle importance cela peut-il avoir affaire avec notre amour demanda Pierre d’un air étonné tout en la regardant dans les yeux.

— Prenons plutôt notre verre lui répondit Jeanne ensuite je t’expliquerai.

Elle prit son verre, but très lentement, regardant son interlocuteur dans les yeux, semblant vouloir le dominer, lui faire entrevoir sa propre pensée. Ayant vidé son verre elle le déposa sur la table et prit une cigarette que Pierre lui offrit et approchant son fauteuil encore plus près de son amant elle lui dit : —

— Écoute mon Pierre il va falloir nous séparer pour quelque temps.

— Que dis-tu là ! dit Pierre en sursautant.

— Pierre, écoute et n’interromps pas, tu verras quand j’aurai terminé que c’est pour toi seul que je veux faire cela.

Il va falloir nous séparer, dis-je, durant ce temps tu pourras finir tes études et moi de mon côté je m’occuperai de faire la connaissance de ce Monsieur Roy. J’ai même l’intention de l’épouser. Je vivrai avec lui et tu sais tout peut arriver, un fâcheux accident ou autre chose, (que tu peux imaginer). Après sa mort, nous nous marierons et nous serons riches et heureux. Et se penchant plus près, elle lui glissa quelques mots à l’oreille à voix basse et se redressant, elle reprit : « Ce n’est pas si mal, qu’en pense-tu ?

— Tu es admirable de répondre Pierre, Mais comment sais-tu qu’il est si riche ?

— Je l’ai su de sa nièce et de plus je sais le nom du notaire avec qui il fait affaire. Allons le voir, peut-être apprendrons-nous quelque chose d’intéressant et nous déciderons ensuite ce que nous aurons à faire.

Ils sortirent du salon de l’hôtel, réglèrent la note et sautèrent dans un taxi.

Vingt minutes plus tard ils frappèrent à la porte du notaire qui les reçut le plus aimablement du monde.

Pierre exposa le but de leur visite disant que sa mère était la sœur de Madame Roy et qu’ils venaient au nom de sa mère prendre connaissance des dernières volontés de la défunte.

Le notaire les fit passer à son bureau, ouvrit son coffre-fort en sortit toute une liasse de papiers timbrés et se mit en devoir de trouver ce qu’il cherchait tout en causant avec eux.

C’est très malheureux dit-t-il à Pierre que votre oncle ait perdu son épouse quand il avait tout ce qu’il lui fallait pour être heureux. Une femme possédant toutes les qualités, une gentille fillette. Et avec cela près d’un million de dollars. En plus une très belle propriété en campagne.

— Oui fit remarquer Pierre, mon oncle a toujours aimé la campagne pour le bon air qu’il savait y trouver.

— Voilà le testament de votre tante dit le notaire en leur remettant, le document.

Jeanne et Pierre s’emparèrent aussitôt du testament et se mirent en devoir d’en prendre connaissance du contenu qui se lisait comme suit : —

Je soussigné lègue à ma fille unique, Thérèse, la somme en argent de cent cinquante mille dollars ($150,000.00) qui devra lui être remis le jour de son mariage ou à la mort de son père si ce dernier devait mourir avant qu’elle soit mariée. —

En plus je lègue à son premier enfant la somme de dix mille dollars (10,000.00) dont il ou elle prendra possession à son mariage ou à l’âge de vingt et un ans (21 ans) révolus.

En fait de quoi ayant tous lucidité d’esprit et agissant selon mon désir, je soussigné.


Ont Signé : —Mme Albert Roy (Née Lucille Bordeleau.)

M. Albert Roy.
M. Alp. Boisvenu. Notaire

— Je ne suis aucunement en peine pour M. Roy dit le notaire en remettant le testament dans son coffre-fort, car il peut remplir toutes ses obligations en tout temps sans en être affecté le moins du monde.

La sonnerie du téléphone se fit entendre à cet instant. Le notaire s’excusa auprès de ses clients. Il alla répondre et revint en disant : — Je suis demandé à l’hôpital auprès de mon petit garçon qui est très malade. On vient de m’apprendre qu’il est bien bas en ce moment.

— C’est très malheureux dit Jeanne, car vous allez passer un bien triste jour de l’an.

Quand ils furent sortis de chez le notaire, ils allèrent souper dans un restaurant non loin de là et après que leurs repas fut consommé, ils retournèrent à l’hôtel, prirent une chambre et s’y enfermèrent à double tours. Jeanne s’abattit sur une chaise, prit sa tête entre ses mains et se mit à réfléchir un long moment. Pierre vint se placer debout devant elle et la contempla.

Ils restèrent muets tous les deux pendant quelques minutes, Jeanne relevant soudainement la tête rompit le silence.

Eh bien ! Pierre qu’en penses-tu ?

— C’est très risqué, ma chère.

— Bah ! on n’a rien pour rien, reprit Jeanne, après tout, ce sacrifice que nous allons nous imposer pour quelque temps nous sera bien payé. Mon plan est tout établi d’avance, moi j’épouse le père, et toi tu auras la fille, tu sais le reste, les deux morts, à nous richesse et bonheur.

— Tout cela est très bien dit Pierre, mais qui me dit que tu ne te ficheras pas de moi quand tu auras épousé le père Roy.

— Oses-tu douter de moi, dit-elle, crois-tu que je vais passer ma vie avec ce vieil homme ruiné, et que je n’aime pas quand il y a toi qui es jeune, joli et plein de vigueur, et encore mieux, que j’aime. Mais puisque tu crains nous allons nous faire un serment et nous lier par le sang. Tout en parlant elle se leva, prit un verre et lui demanda un canif. Elle enleva son manteau et se fit une incision à l’avant bras gauche. Elle laissa couler un peu de sang dans son verre et essuya la plaie avec son mouchoir. Elle lui présenta ensuite le canif et lui dit : — Fais comme moi.

Pierre prit le canif et se fit la même opération, et lui aussi fit couler son sang dans le verre que lui présentait son amie, et qui se mêla à son sang.

Jeanne s’empara alors du verre, et elle en absorba quelques gouttes après quoi, elle lui passa le verre qu’il vida d’un seul trait.

— Eh ! bien Pierre tu ne pourras plus douter de moi maintenant, nous sommes désormais liés l’un à l’autre À LA VIE À LA MORT.

Et remettant son manteau elle s’apprêta à sortir, mais il la retint.

— Écoute Jeanne, nous ne sommes pas pour nous quitter aussi promptement que cela, nous n’aurons peut-être pas l’occasion de nous revoir en tête-à-tête bien longtemps. Reste, donne-moi encore une fois de cette ivresse. Oh ! si tu savais ma chérie, comme il me faut t’aimer pour consentir à un tel sacrifice.

— Moi aussi, il me faut me sacrifier tout autant que toi, mais c’est pour toi, je t’aime tellement mon chéri.

Oui, ils s’aimaient tous les deux c’était un amour enflammé, né d’un seul jet au contact de la double étincelle de leurs beautés et de leurs désirs, un amour né de la chair, absolu, assoiffé, immédiat et fatal.

Huit mois de cela, huit mois de baisers, de caresses et de bonheur pas une seule ombre, pas une minute de lassitude ou de dégoût. La seule chose qui les préoccupait c’était l’argent ils venaient de trouver ce qu’ils cherchaient avec tant de convoitise, ils étaient donc heureux, et c’était fête pour eux.

Le lendemain matin on aurait pu voir Jeanne seule dans un taxi l’air rêveuse, se faisant reconduire chez elle.

Ce même jour qui était le jour de l’an Jeanne alla chez sa voisine Madame Lavallée pour lui faire ses souhaits et elle fit dans la même visite connaissance avec Monsieur Roy qu’elle invita à lui rendre visite chez elle. Il se rendit donc un jour à son invitation et à partir de ce jour M. Roy s’était chargé des visites. Les choses allèrent si bien que M. Lavallée fit remarquer un jour à son épouse : On trouvait Thérèse en bonne voie avec M. Hines mais je crains que son père la devance, nous allons bientôt le perdre je crois.

En effet les choses allèrent si bien qu’à la fin du mois de mai fut célébré le mariage de Monsieur Roy avec Jeanne…