Les mystères du château Roy/01/05

CHAPITRE
V
COMPLOT

On est au commencement d’avril, Jeanne est dans sa chambre récapitulant une dernière fois ce qu’elle doit faire de l’enfant de Thérèse. Elle fit venir dans sa chambre Louise, sa cuisinière.

— J’ai cinq cents dollars pour vous Louise, voulez-vous les gagner ?

— Si c’est possible.

— Il s’agit d’enlever un enfant pour sauver l’honneur de la famille, et de tout faire pour qu’il soit votre propre enfant.

— Je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire.

— Eh bien ! Mademoiselle Thérèse va avoir un enfant. Et il faut que cet enfant disparaisse d’ici, quelques jours après son arrivée. Vous l’apporterez chez vous, vous allez être malade, Dr Pierre ira, vous aurez un enfant. Le lendemain vous le faites baptiser à votre nom et je vous donne cinq cents dollars.

Vous serez deux mois sans travailler et je vous paierai votre salaire quand même. Vous faites de l’enfant ce que vous voulez et l’affaire sera finie.

— C’est impossible madame, je ne suis pas enceinte.

— Personne ne pourra vous soupçonner un docteur va à votre maladie, l’enfant est baptisé à votre nom, on ne peut rien dire. Et les cinq cents dollars vous appartiennent.

On frappa à la porte, Jeanne fit signe à Louise d’aller répondre. On venait prévenir Mme Roy que le Dr Pierre venait d’arriver et désirait s’entretenir avec Madame.

Jeanne descendit aussitôt avec Louise. C’est justement le docteur dont je vous parlais. Il est au courant de tout ce que je viens de vous proposer, vous pouvez être sans crainte. Je vous donne congé pour l’après-midi, allez prévenir votre époux et prenez ces deux billets de cinq dollars en acompte pour ces jours-ci. Louise se confondit en remerciements et courut sans plus tarder à son logis.

Son mari fut fort surpris de la voir arriver, mais elle lui expliqua bientôt de quoi il s’agissait, lui racontant les intentions de Mme Roy. Alfred ne l’entendit pas d’une bonne oreille, mais lorsqu’elle lui apprit qu’il avait cinq cents dollars à gagner et que madame en avait déjà donné dix en acompte, cela changea toute la face des choses.

C’est différent lui dit son mari, pourvu qu’il y ait de l’argent au bout, je suis prêt à tout et tu pourras prévenir Mme Roy qu’elle peut compter sur nous, elle n’aura qu’à nous prévenir.

Oui mais ne t’imagine pas que tu auras toute la galette, lui dit sa femme. Comme c’est moi qui gagne la vie ici et qu’il me faudra faire vivre cet enfant, il est convenable que j’aie ma part. Donc c’est part égale. Deux cent cinquante dollars pour chacun de nous.

— C’est bien, donne-moi les dix dollars que Mme Roy t’a remis et j’accepte de faire parts égales.

— Non ! Parts égales en tout et partout. Voici cinq dollars, le reste en même temps que moi quand nous prendrons possession de l’enfant.

Alfred fut donc obligé d’accepter le cinq dollars que sa femme lui remit et aussitôt qu’elle fut partie pour retourner au château, il prit le chemin de l’auberge où il n’avait pas remis les pieds depuis déjà plusieurs jours.

Louise, dès qu’elle fut revenue au Château, s’empressa de trouver Mme Roy pour lui faire part de la décision qu’elle avait prise avec son mari ce qui attira aux lèvres de Jeanne un sourire de satisfaction.

Elle renvoya Louise à la cuisine et se dirigea au salon, où le Dr Pierre causait avec M. Roy.

Jeanne entra, prit place dans un fauteuil en face des hommes et s’adressant à M. Roy.

— Eh bien ! mon cher, qu’as-tu décidé au sujet de Thérèse ?

— J’ai décidé d’élever nous-même l’enfant et de ne pas l’envoyer dans d’autre famille. Si Thérèse est dans cette position c’est de notre faute, si nous l’avions mieux surveillée, cela ne lui serait pas arrivé. Nous sommes coupables tous les trois, donc expions notre faute, si nous voulons être pardonnés de notre manque de surveillance, qu’en pensez-vous docteur ?

— C’est très bien, mais vous pouvez faire une chose. Faites passer l’enfant pour votre propre enfant, de cette manière on ne se doutera de rien et vous expierez votre faute quand même.

On frappa à la porte. Un valet s’avança portant une lettre qu’il remit à M. Roy. La lettre était adressée à Thérèse. M. Roy prit la lettre l’examina. Elle venait de Montréal et était adressée par une main d’homme.

Et comme le valet ne bougeait pas, M. Roy lui demanda.

— Qu’attendez-vous pour vous retirer ?

— J’attends une réponse que je dois rapporter au messager.

Alors M. Roy se décida à rompre le cachet de la lettre qui l’intriguait beaucoup. Elle se lisait comme suit. —


Ma chère Thérèse.

Comme mon père doit partir pour retourner dans notre beau pays, en Allemagne, et qu’il désire bien que je parte avec lui, je n’ai pas voulu consentir à le suivre avant d’avoir eu une réponse définitive sur l’impossibilité de notre mariage.

J’espère que votre père est revenu à des meilleurs sentiments à mon égard. S’il consent à notre union, je resterai à Montréal, mais si au contraire il persiste dans ses idées, je me verrai forcé d’accompagner mon père en Allemagne.

Je partirai dans trois jours et ce sera avec mille regrets que je quitterai cette terre canadienne où je laisserai un petit enfant avec sa mère pour qui je donnerais volontiers ma vie.

Je demeure, en attendant la réponse que doit me rapporter le messager et qui doit décider de mon bonheur.

Votre tout à vous,
Walter.

M. Roy donna la lettre à Jeanne qui la lut bien attentivement.

— Il a encore l’idée de revenir, ce sacripant, dit-elle.

— Donne-moi la lettre, je monte voir Thérèse. Et dites au messager d’attendre quelques minutes.

Et il monta à la chambre de Thérèse…

— Bonjour papa, dit-elle en le voyant entrer…

— Bonjour ma petite. Je suis venu te demander une faveur, et c’est, j’ose l’espérer, la dernière de ce genre que je viens te demander.

— De quoi s’agit-il mon cher papa !

— De Walter.

Thérèse devint tout à coup songeuse. Elle cloua ses yeux au plafond et demeura là, en extase.

— Quoi, lui demanda son père, vas-tu être aussi rebelle que la dernière fois qu’il en fut question ? Vas-tu refuser à moi, ton père, de vouloir désirer le bonheur pour sa fille et pour lui-même.

Oui, il le désirait le bonheur pour sa fille et c’est avec bonne foi qu’il cherchait à la détourner de cet Allemand. S’il avait eu le moindre doute qu’il était dupé, qu’on se servait de lui pour jouer avec la destinée de Thérèse, il aurait vite fait de les rappeler à l’ordre, car c’était un homme qui aimait la justice et qui aurait préféré se sacrifier mille fois, plutôt que d’en imposer à sa petite fille, sans raison suffisante. Mais il lui était impossible de douter sa femme capable d’un tel méfait. Elle si pleine d’égards et d’empressement pour Thérèse.

— Eh bien ! Papa parlez, je vous écoute.

— Prends connaissance de ceci, après quoi je te dirai pourquoi je m’oppose à cette union.

Thérèse s’empara de la lettre d’une main nerveuse, la lut et relut, une larme vint perler à ses paupières, qu’elle essuya du revers de sa petite main blanche.

— Tu as de la peine, ma chérie, je te comprends. Il a si bien su t’ensorceler, oublie-le et plus tard tu comprendras que je voulais ton bonheur. Moi aussi j’ai beaucoup de peine de voir que tu veux absolument appartenir à un homme qui n’est pas digne de toi. Que ferais-tu si tu l’épousais ? tu t’ennuierais peut-être de te trouver loin des tiens dans un pays éloigné, personne n’aurait le dévouement de ton père, si tu venais dans le besoin, à qui confier ta peine ? Si ton époux n’est pas comme tu l’as rêvé, tu serais obligée de voiler ta peine par un sourire. Vas-tu m’abandonner, moi ton père, qui n’a que toi d’enfant que je puis chérir, toi qui me rappelle ta chère maman que nous avons tant aimée. Non c’est impossible tu ne peux pas faire cela. Dis-moi que c’est un mauvais rêve que j’ai fait, que tout est fini, et que tu n’y penseras plus.

Thérèse releva la tête qu’elle avait tenue penchée pendant tout le temps que parlait son père, et la main sur l’épaule de son père, le regardant, les yeux pleins de larmes elle dit.

— Pour vous, Papa, je vais m’imposer ce grand sacrifice. Mais en retour il faut que vous promettiez d’élever mon enfant, de pourvoir à tous ses besoins, de le considérer comme s’il était votre enfant, ne jamais me pousser au mariage, me laissant libre de pleurer ma peine.

— Je te le promets, pourvu que tu renonces à lui. En plus je vais te donner dix mille dollars dont tu prendras possession cette semaine même : de cette manière tu ne seras pas dans l’inquiétude, et si je venais à manquer bientôt, ce qui peut arriver, car nous ne savons pas quand notre dernière heure sonnera. De cette manière j’aurai rempli ma promesse quand même.

Alors Thérèse s’approcha de son bureau dans lequel elle mit la lettre que son père venait de lui remettre, prit une feuille de papier et y traça quelques lignes. Elle mit cette feuille sous une enveloppe la cacheta la tendit à son père.

— Faites-lui parvenir ceci et je vous promets que vous n’entendrez plus parler de lui.