Les mystères de Montréal (Feuilleton dans Le Vrai Canard entre 1879 et 1881)
Imprimerie A. P. Pigeon (p. 83-85).

XIV

OÙ LE PETIT PITE FAIT UNE ESCAPADE.


La comtesse de Bouctouche en arrivant chez elle après avoir passé la veillée à St-Sauveur, fut grandement étonnée de trouver sa maison vide.

Ursule assignée comme témoin devant le juge de Ste-Scholastique était partie sans en donner avis à sa bourgeoise.

La servante arriva le lendemain soir et conta l’attentat qui avait amené l’arrestation de Cléophas.

Pendant qu’Ursule faisait son train avant le souper, un coup de clochette retentit ; c’était l’homme au chapeau de castor gris qui demandait la comtesse.

Ursule le fit entrer dans le salon et quelques minutes après la comtesse parut.

Caraquette en voyant la comtesse vit de suite que personne ne lui avait communiqué la nouvelle de la mort de son mari.

Il avait un double intérêt de faire lui-même à la veuve la triste communication. Il voulait avoir des nouvelles du vicomte et il annoncerait à la comtesse qu’elle allait cesser de jouir de l’usufruit de la fortune des St-Simon.

Il voulait aussi déchirer le voile mystérieux qui couvrait la disparition de l’héritier du comte.

Caraquette parla en diplomate consommé et s’exprima avec tous les ménagements possibles.

En apprenant le trépas de son époux la comtesse poussa un cri et tomba sans connaissance sur le plancher.

Elle ne reprit ses sens que cinq minutes plus tard.

Caraquette finit par toucher sa corde sensible en la questionnant sur la santé du vicomte. La pauvre femme lui répondit que l’héritier des Bouctouche avait commencé un cours classique au collège de Ste-Thérèse. Ses professeurs lui trouvaient beaucoup de talent et, s’il persévérait dans ses études, il deviendrait un homme façonné dans le granit des nations.

Caraquette, comme nos lecteurs le savent, n’avait pas encore pu mettre la main sur les papiers privés du comte de Bouctouche qui étaient en la possession de Cléophas.

Il prit congé de la comtesse et la résolution d’aller lui-même au collège afin de s’assurer de l’identité du vicomte.

En même temps il devait user d’astuce auprès du coroner pour s’emparer des autres documents du comte de Bouctouche.

L’homme au chapeau de castor gris ne s’amusât pas au rôti. Il fit venir immédiatement un charretier pour le conduire à Ste-Thérèse.

Celui-ci avait un cheval « taureau blood » et le voyage se fit en trente-six minutes, malgré le mauvais état de la route de la Grande Ligne.

En arrivant à Ste-Thérèse Caraquette alla trouver le docteur Gaudet. Il grinça des dents lorsqu’il apprit de celui-ci que les papiers du défunt étaient tous dans la poche de Cléophas.

Il ne lui restait qu’une ressource, c’était d’aller au collège et de voir lui-même le vicomte de Bouctouche.

Il ferait parler l’enfant et apprendrait le fin mot de l’histoire.

Il était inutile de songer à obtenir une confession de la bouche de Cléophas.

La grande difficulté pour Caraquette était de constater que l’élève interné au collège de Ste-Thérèse portait réellement sur la fesse gauche le signe du castor avec l’inscription « travail et concorde ».

Caraquette se décida à aller au collège et de connaître le court et le long de l’histoire.

Il entra dans le parloir et demanda le directeur.

Celui-ci lui apprit que le comte de Bouctouche avait placé son garçon dans l’établissement en payant le premier semestre d’avance. Malheureusement la conduite du nouvel élève n’avait pas été des plus exemplaires.

Le vicomte ou plutôt le petit Pite avait déserté du collège depuis trois ou quatre jours.

Toutes les recherches dans les villages pour le retrouver étaient restées infructueuses.

Évidemment le petit Pite avait gagné Montréal.

Caraquette ne perdit pas de temps, il prit le train d’Ottawa et le soir il était rendu à Montréal.

Il alla trouver les détectives Lafond et Richer qui se mirent à la recherche du petit Pite.

Nos habiles limiers le lendemain matin donnèrent à Caraquette des informations très explicites sur la disparition du vicomte.

Le gamin, rendu à Montréal, devait avoir un peu de pocket money.

Il était devenu un des habitués du restaurant de la Mère Gigogne. Il tomba dans l’œil d’une des filles de salle, un ange aux yeux bleus appelé Céleste. Un bon matin les deux amoureux prirent la poudre d’escampette et allèrent cacher leur flamme sous d’autres climats et d’autres cieux.