Les loisirs du chevalier d'Éon/1/Pologne/VI


CHAPITRE VI.

DES ASSEMBLÉES POLITIQUES.

1. On entend ici, sous le nom d’assemblées politiques, les diétines, les diettes, les senatus-consilium, le grand conseil de l’état, les confédérations, l’arrière-ban & autres assemblées de cette nature, à l’exclusion des tribunaux que l’on doit regarder comme des assemblées civiles.

Diette2. Comme la diette, qui n’est autre chose que l’assemblée générale des trois ordres de la nation, est liée avec les diétines & le senatus-consilium, elle doit faire ici notre premier objet, puisqu’en la faisant bien connoître, nous jetterons un grand trait de lumière sur les autres assemblées politiques.

Lieux & durée des Diette3. Les diettes dépendoient autrefois de la volonté des rois, qui en fixoient le tems & le lieu selon qu’ils le jugeoient à propos. Maintenant les loix ont arrêté que la diette ordinaire qui est de six semaines, s’assembleroit de deux en deux ans avec cette alternative que, contre deux diettes tenues à Varsovie, il n’y en auroit qu’une à Grodno. Cet ordre n’est pourtant pas si immuable qu’on n’y déroge quelquefois, car après la diette rompue en 1704 il n’y en a point eu devant l’année 1744.

Lettres préliminaires.4. Quoiqu’il en soit, lorsque le roi veut tenir la diette ordinaire, il commence par adresser des lettres circulaires à tous les sénateurs & aux ministres de Pologne & de Lithuanie, pour demander leur avis touchant les matières qu’on devra mettre sur le bureau pour le bien de l’état.

Instructions.5. Chaque sénateur & chaque ministre ayant donné son avis par écrit, les chancelliers en tirent les points convenables pour former les instructions que le roi envoie aux diétines, & auxquelles, il ajoute les autres chefs sur lesquels il juge nécessaire de délibérer pour le bien public.

Universaux.6. Cette instruction étant dressée, le roi fait porter ses universaux dans tous les palatinats & terres où les diétines doivent se tenir. Ces universaux ne sont qu’une espèce de lettre circulaire, qui marque le tems & le lieu de la diette, & qui contient quelques-uns des points généraux qu’on y discutera. Pour ce qui est de l’instruction, le roi l’adresse à des personnes intelligentes & bien-intentionnées qui, en assistant aux diétines, tâchent de faire en sorte que les instructions provinciales, que ces diétines doivent donner à leurs nonces, soient conformes aux vues de la cour. Au reste les universaux doivent être expédiés six semaines avant que les diétines s’assemblent.

Diétines ou Comitiales.7. Après la réception des universaux que le roi ne peut jamais signer qu’il ne soit sur les terres de la république, les diétines des palatinats & des autres contrées s’assemblent, six semaines avant l’ouverture de la diette, dans les endroits marqués par les constitutions, pour se tenir toutes dans le même jour. On prétend que cette dernière règle a été établie pour empêcher ou pour diminuer les brigues : mais il est constant que c’est un foible rempart contre les manœuvres & les cabales, que les intérêts particuliers ont coutume de faire naître. Au surplus cette même règle souffre une exception, car les diétines de Zator & de de Halitz se tiennent huit jours avant les autres.

Lieux des Diétines.8. Toutes les diétines se tiennent dans les églises. Les constitutions ont sagement prescrit ces lieux respectés, afin que leur sainteté prévienne, ou du-moins appaise plus facilement le tumulte qui s’élève ordinairement dans ces assemblées. Malgré cette précaution, dont la religion semble assurer le succès, chez une nation aussi attachée à son culte que l’est la polonoise, les débats s’échauffent souvent au point qu’il y a du sang répandu.

Nécessité d’un suffage unamine.9. Dans les diettes, aussi bien que dans les diétines, c’étoit autrefois la pluralité des voix qui décidoit de la nomination du maréchal & des autres affaires qu’on y proposoit : mais la foiblesse de quelques rois & l’amour d’une liberté mal entendue, ont porté la nation à s’écarter d’un usage si salutaire, de sorte qu’à présent l’unanimité des suffrages est requise pour tout.

Prérogatives des Nonvces.10. Lorsque les diétines ne font point rompues, c’est-à-dire, lors qu’on y a nommé unanimement le maréchal & choisi avec la même unanimité les nonces du palatinat ou du district qui doivent assister à la diette, la noblesse assemblée donne ses instructions à ces derniers qui, connoissant les choses qu’ils doivent soutenir ou rejetter, sont dès lors regardés comme ministres, comme arbitres du sort de la république, enfin comme personnes sacrées, qu’aucun prince ni aucun particulier n’oseroit affronter impunément.

Quelques Maréchaux perpétuels de Diétines en Lithuanie.11. Il faut observer qu’en Lithuanie il y a plusieurs districts où les diétines n’ont pas la peine d’élire leurs maréchaux, parce qu’une prérogative singulière y donne ces sortes de dignités à des gentils-hommes qui les possèdent pendant toute leur vie ; tels sont les districts de Grodno, de Kowno & autres.

Idée des cabales dans les Diétines.12. Si les diétines sont rompues par l’opposition constante d’un ou de plusieurs membres de l’assemblée, il suit que le district n’envoie point de nonces à la diette, & c’est une chose dont les exemples sont fréquents. Un grand seigneur qui a des vues, ne manque guères de s’intéresser sous main pour faire élire des membres qui lui conviennent, ou pour donner l’exclusion à ceux sur lesquels il n’a point de crédit. D’autres dressent en même tems des contrebatteries, & alors des deux côtés, présens, promesses, tout est employé pour assurer son succès ; ainsi l’on peut dire que la tenue où la rupture d’une diétine, faite à propos, est le triomphe de l’habileté républiquaine.

Nombre des Diétines & des Nonces.13. Un plus long détail touchant les diétines ne s’accorderoit point avec le dessein de ne présenter au public qu’un abrégé de la Pologne. Il suffira de savoir qu’avant la diette, il s’assemble soixante & quatre diétines tant dans le royaume que dans le grand duché ; & qu’ainsi, selon le nombre des nonces que, suivant les constitutions, chacune doit nommer, la diette devroit être composée de cent soixante & huit membres, si aucunes d’entre elles n’étoient rompues. Mais il faut remarquer que, dans ce nombre, on ne comprend point les nonces de la Prusse royale, dont la quantité n’est point fixée, de sorte que cette province, qui est divisée en trois palatinats, peut envoyer à la diette cent nonces & même plus, si elle le veut, C’est ce qui fait que les Polonois, craignant l’ascendant que ce privilège donneroit aux Prussiens dans la diette, n’épargnent aucuns soins pour faire échouer leurs diétines ; & s’ils n’y peuvent pas réussir, ils chagrinent leurs nonces, en les chicanant sur l’activité que peut donner leur place dans les délibérations de l’ordre équestre. Le Luthéranisme, dont la plupart des Prussiens font profession, sert alors d’un prétexte spécieux pour les traverser.

14. De tout ce qu’on vient de dire, il suit que plus il y a eu de diétines rompues, moins il vient de nonces à la diette. Il sembleroit qu’on dût alors espérer qu’elle auroit plus de facilité à terminer les affaires, parce que l’unanimité des suffrages se rencontre plus aisément parmi un petit nombre d’hommes que dans une grande multitude ; mais cependant il est rare qu’une diette subsiste, à moins qu’il n’y ait des projets extrêmement bien conçus & soutenus par des gens riches & d’une habileté extraordinaire ; ou sans qu’un intérêt pressant & général n’anime la nation & ne la porte également à concourir au même plan. Tantôt ce font des puissances étrangères qui, par l’adresse de leurs ministres, trouvent le moyen de rompre brusquement l’assemblée, ou de la faire expirer infructueusement. Tantôt c’est l’humeur & l’intérêt des citoyens les plus puissans qui en décident. Souvent la cour s’en mêle, pour prévenir des réglemens qui contrarieroient son systême. Quelquefois aussi ça été l’ouvrage des Juifs qui abondent en Pologne, & qui ne manquant ni d’argent, ni de souplesse, ont su par-là éluder les sages mesures que la république a souvent voulu prendre contre eux.

Ouverture de la diette.15. Quelqu’ait été le sort des diétines, qui ne doivent durer que quatre jours suivant les constitutions ; comme elles ne sont jamais toutes rompues dans une même année, la grande diette ordinaire s’assemble le lundi d’après la saint Michel. Le Roi, les sénateurs & les nonces se rendent en cérémonie à l’église, où ils assistent à la célébration d’une messe & y entendent le sermon, après lequel le roi va dans la chambre du sénat & se place sur le trône, pendant que les nonces se retirent dans une autre salle qui leur est destinée.

Directeur des Nonces.16. Les nonces, n’ayant point encore nommé leur Maréchal, prennent d’abord pour leur directeur celui qui a été maréchal pendant la diette précédente, s’il est du nombre des nonces actuellement assemblés : ou s’il est absent, ils prennent le premier nonce, tantôt du Palatinat de Cracovie, tantôt de celui de Wilna.

Élections du Maréchal des Nonces.17. Ce directeur ainsi reconnu donne tour à tour la voix aux nonces, en suivant le rang de leur palatinat, c’est-à-dire, qu’il leur permet de parler pour procéder à l’élection du nouveau maréchal, qui doit être tiré alternativement d’entre les nonces ou de la grande ou de la petite Pologne ou de la Lithuanie.

18. C’est ainsi donc qu’on procède à cette élection, qui devroit, suivant les constitutions, être faite dès la première séance : mais l’abus prévaut tellement qu’elle traîne souvent en longueur, & ne se fait qu’après plusieurs jours ou même plusieurs semaines, encore si les débats ne vont pas si loin que la diette se rompe sans qu’on ait pu s’accorder sur cet article.

Arbitres.19. Tout gentil-homme peut entrer dans la chambre des nonces pour être témoin de leur conduite. On donne vulgairement le nom d’arbitres à ces spectateurs, qui souvent y sont amenés par quelqu’intérêt sérieux, quoique cette démarche ne soit dans la plupart qu’un mouvement de curiosité.

Leur droit.Quelque soit leur motif, l’usage leur donne une autorité bien singulière. Car dès qu’un nonce ouvre la bouche pour nommer le maréchal qu’il entend désigner, chaque gentil-homme d’entre les arbitres peut objecter contre lui, ou qu’il n’a pas été élu légitimement, ou qu’il est chargé d’un Condemnat, c’est-à-dire, d’une sentence portant punition juridique, ou enfin qu’il est en procès pour des crimes dont il ne s’est pas encore purgé ; & alors le nonce, obligé de se taire, voit son activité tellement suspendue qu’il n’a pas même la liberté de répondre à son aggresseur. Il est vrai que, lorsque le maréchal est élu, l’assemblée examine le cas des nonces accusés ; & suivant qu’elle trouve les objections justes ou injustes, elle leur rend leur activité, ou les exclut de la chambre ; & cette exclusion passe avec justice pour une flétrissure considérable.

Députés des nonces au sénat.20. Après ces préliminaires, la chambre des nonces choisit des députés qu’elle envoie à celle du sénat, pour notifier au roi la nomination du maréchal, & pour demander la permission d’aller saluer sa majesté. Le roi répond par la bouche du grand chancellier, en témoignant la joie que lui cause l’heureuse élection du maréchal, & fixe le jour & l’heure où se doit faire la cérémonie dont il s’agit.

Entrée des nonces au sénat.21. Conformément à l’ordre du prince le grand maréchal, accompagné de tous les nonces, se rend à la chambre du sénat & s’y tient debout entre les grands maréchaux de la Couronne & de Lithuanie, les nonces, étant de même debout derrière les sénateurs chacun selon le rang que lui donne son Palatinat ou son territoire.

Hommage du Maréchal & des Nonces.22. Aussitôt qu’on s’est rangé de la sorte, le grand maréchal de Pologne, si la diette se tient à Varfovie, ou celui de Lithuanie si l’assemblée est à Grodno, donne le signal à celui des nonces de saluer le roi. Ce maréchal des nonces fait alors une harangue au roi, qui roule ordinairement sur sa bonté, sur les soins paternels qu’il prend pour le bien de la république ; & à la fin il baise la main de sa majesté, honneur que partagent tous les nonces à mesure que leur maréchal les appelle selon leur rang.

On lit les Pacta Conventa.23. Les nonces ayant repris leurs places derriere les sénateurs, & leur maréchal s’étant assis sur un tabouret qui lui est préparé entre les deux grands maréchaux, de façon cependant que son siege soit plus reculé que leurs fauteuils ; un des grands secrétaires ou un des référendaires doit, suivant l’ordre établi par les constitutions, lire à haute voix les Pacta Conventa : mais cet usage n’est plus guere de mode ; néanmoins comme il n’est point abrogé, les nonces sont toujours les maîtres de lui rendre son ancienne vigueur.

Les matières sont proposées.24. Le chancellier, parlant ensuite pour, le roi, propose les matieres sur lesquelles la Diette doit délibérer. Il répete les principaux points que contenoient les universaux & les instructions envoyées aux diétines, & il peut en ajouter d’autres, si le roi le juge convenable.

Autrefois on lisoit l’écrit aux archives25. Immédiatement après, un grand secrétaire ou un référendaire doit lire à haute voix ce qu’on appelle l’écrit aux archives. On entend par ce mot, un écrit qui devoit contenir les propositions concernant les affaires importantes que la république vouloit tenir cachées, comme touchant les conditions d’une alliance secrète ou autres matières de cette nature. On nommoit alors des députés tant du sénat que de la chambre des nonces, pour travailler à part sur cet objet. Ils prêtoient serment de s’aquitter de leur commission avec soin, fidélité & d’une manière conforme aux intérêts de la patrie. Cette pratique, toute sage qu’elle étoit, est encore passée de mode, parce qu’on a trouvé que les vastes prérogatives du liberum veto ne s’accordoient point avec l’autorité de dix ou douze personnes choisies qui pouvoient décider du fort de l’état.

Résultats des Senatus consilium 26. Pour remplir maintenant le vuide que l’omission de cet usage laisseroit dans l’ordre de l’assemblée, on y substitue la lecture du résultat des senatus-confilium, s’il y en a eu quelques-uns qui aient précédé la diette. C’est une cérémonie fort innocente à la vérité, mais qui n’aboutit à rien, puisque cent senatus-consilium ne sauroient produire une seule loi ni un arrangement fiable, comme indépendans du concours de l’ordre équestre.

27. Aussi dès que cette dernière lecture est faite, les nonces manquent rarement de critiquer les résultats qu’on vient de leur lire. Ils demandent ensuite compte des ambassades, de l’administration du trésor & même de la conduite du roi. De là résultent souvent des clameurs & des altercations, peu agréables au chef & au sénat. Il s’y mêle en effet des saillies de liberté républiquaine, qui annoncent que l’ordre équestre se regarde comme, souverain dans les diettes.

Députés du sénat à la constitution.28. Le trouble étant appaisé, les sénateurs donnent leur avis sur les matières proposées ; après quoi le roi nomme par la bouche du chancellier sept députés du sénat, savoir, un évêque & six sénateurs séculiers, dont deux de la grande Pologne, deux de la petite & deux de Lithuanie. Leur objet est de se joindre à d’autres tirés de la chambre des nonces, qui tous, vers la fin de la diette, doivent rédiger en forme de loix & de constitutions les résolutions prises par l’assemblée. Il faut donc pour qu’ils entrent en fonctions, que la diette tienne ; car sans cela toute la députation devient inutile. Au reste comme, dans le cas où la diette parviendroit à sa conclusion, les députés en question pouroient s’accorder aisément, & glisser dans la constitution, au préjudice du bien public, quelqu’article favorable à leurs intérêts & à leurs vues particulières, on les oblige à jurer qu’ils n’inséreront dans la constitution aucun statut qui ne soit avoué par le consentement unanime des trois ordres.

Députés du sénat pour le trésor & l’artillerie.29. Le roi nomme encore d’autres députés choisis d’entre les sénateurs, pour régler les affaires du trésor public & de l’artillerie, deux points où l’intérêt particulier occasionne continuellement de nouveaux abus. Il en est de cette députation, comme de la précédente, dont la tenue ou la rupture de la diette décide également.

Les nonces repassent dans leur chambre.30. Enfin le maréchal de la diette prend la parole & demande au roi la permission de retourner dans la chambre des nonces. Sa majesté l’acorde en recommandant, par la bouche du chancellier, l’union & le foin du bien public.

Leurs premières fonctions.31. Le maréchal n’a pas ramené les nonces dans leur chambre, qu’il nomme les députés de cet ordre qui devront se joindre à ceux du sénat, tant pour rédiger les constitutions, que pour assister aux réglemens que pouront exiger les affaires du trésor & de l’artillerie. Ces députés, ainsi que ceux du sénat, prêtent serment : mais avec le même risque de devenir inutiles, si la diette est rompue.

32. On délibère ensuite sur les matières proposées ; & c’est alors que les débats deviennent si terribles, que cette chambre a moins l’air d’un conseil, que d’un champ de bataille, où chacun est à tout moment prêt à s’égorger. Le roi se voit souvent obligé d’y envoyer les sénateurs tant ecclésiastiques que séculiers, pour tâcher d’y rétablir le calme : mais il est fréquent que leur présence & leurs discours n’opèrent rien. Un ou plusieurs nonces, qui sortent de l’assemblée, en protestant contre toutes les résolutions que les autres veulent prendre, rompent effectivement la diette ; à moins que par des persuafions ou des caresses, on ne les détermine à révoquer leurs protestations, que les opposans ont toujours soin de faire enregistrer sans délais dans le Grod, lieu où s’exerce la jurisdiction de la ville, dans laquelle se tient la diette.

33. Il faut pourtant observer que ce qui paroit tumultueux & scandaleux dans les débats de la chambre des nonces, n’est souvent en effet qu’un tour d’adresse & de politique. Un homme habile jette en avant quelque idée d’une proposition, dont il sent que le succès est douteux, mais qu’il a pourtant résolu de faire passer d’un consentement unanime. La manière dont la chofe est reçue lui fait connoître aisément les diverses opinions des uns & des autres : alors voyant les oppositions qu’il doit craindre, il met ou fait mettre sur le tapis d’autres propositions qu’il sait bien devoir rebuter la multitude. On s’échauffe, on crie ; & ainsi il gagne du tems pour disposer sous mains les esprits à entrer dans son systême. Outre l’intérêt, il y a mille autres ressources qui font réussir dans ces sortes de rencontres.

34. Souvent la diette n’est pas rompue avec éclat, mais faute d’accord entre les nonces ; & quelquefois par l’adresse d’une main qui se cache, elle expire infructueusement sans avoir pu prendre aucunes résolutions définitives, & sans que par conséquent les deux chambres se soient réunies. Ainsi cette assemblée, formée avec tant d’appareil, se dissipe inutilement, après six semaines, au moment où le jour finit. Les constitutions ne permettent pas en effet qu’on apporte de la lumière, pour prolonger la séance d’un seul instant : cependant il n’est pas sans exemple qu’à l’égard d’un article de si peu d’importance en lui-même, & dont les suites peuvent être très dangereuses, on ne passe par dessus la sévérité des loix ; & l’on pouroit même prolonger les séances pendant plusieurs jours au-delà du terme fixé, si les trois ordres y consentoient.

Fonction des deux chambres.35. Si au contraire on s’accorde dans la chambre des nonces, elle doit, suivant les constitutions & les loix, aller se rejoindre à la chambre du sénat, cinq jours avant l’expiration des six semaines ; mais en cela, les loix ne sont pas non plus observées rigoureusement. Il y a eu en effet des occasions où l’on a vu la réunion ne se faire qu’au dernier jour : & même sur la fin du règne précédent, sa Majesté Polonoise, toujours portée au bien de l’état, a eu la complaisance d’attendre, jusqu’au soir du dernier jour de la diette, cette jonction si désirée : ce qui suffit pour prouver que, malgré le retardement, elle peut toujours avoir lieu.

36. Enfin les deux chambres se trouvant réunies, on lit les différents points statués, d’où doit résulter la constitution nouvelle sur chacun desquels on s’arrête. Alors le grand maréchal demande par trois fois si l’on est d’accord sur cet article. Quand on répond Zgoda qui signifie d’accord, l’article lu prend vigueur de loi fixe & justement confirmée : mais si quelqu’un répond Niemasz Zgody ou Niepo Zwalam, c’est-à-dire, il n’y a point eu d’unanimité ou je n’y consens pas, le projet tombe ; & même suivant la nature du Liberum veto, la diette peut alors se rompre par la protestation d’un ou de plusieurs nonces qui s’opposeroient à sa conclusion, en se plaignant qu’on auroit étouffé leurs suffrages dans la chambre basse, ou qu’on les auroit entraînés, par artifices ou par violence, dans la chambre haute ; mais c’est un cas dont les annales de Pologne ne fournissent aucun exemple.

Conclusion de la diette.37. Dès que tous les points lus ont été approuvés, le maréchal de la diette en fait la clôture, en haranguant le Roi ; ensuite il est admis à lui baiser la main, & enfin toute l’assemblée se rend à l’église, afin d’assister au Te Deum, qui est chanté en actions de grâces pour l’heureuse conclusion de la diette.


Constitutions.38. Le lendemain le maréchal des nonces & les députés tant du sénat que de l’ordre équestre, s’assemblent dans un endroit convenable, pour y arranger les points statués, & les rédiger en forme de constitutution. Quand ils ont achevé cet ouvrage, ils le signent de leurs propres mains, & le déposent dans le Grod de la ville où la diette s’est tenue. On en imprime ensuite quantité d’exemplaires, que les chancelliers & les vice-chancelliers munissent de leurs signatures & des sceaux de la couronne & du grand duché ; après quoi ils en envoient un à chaque Grod de Pologne & de Lithuanie, & les autres sont répandus dans le public.

Diettes extraordinaires.39. Tout ce qu’on vient de dire touchant les diettes ordinaires, s’observe également dans les diettes extraordinaires. Il n’y a de différence, entre les unes & les autres, qu’à l’égard de leur convocation & de leur durée : car les diettes extraordinaires sont convoquées par le roi, quand il le juge à propos, ainsi qu’on l’a marqué dans le premier chapitre, mais elles ne durent que quinze jours où tout au plus trois semaines.

Senatus Consilium de Fraudstat.40. Il convient d’observer, touchant les diettes, que, lorsque la couronne étoit dans la maison de Saxe, & que les rois faisoient leur séjour ordinaire en Allemagne, l’usage établi vouloit qu’ils se rendissent à Fraudstat sur le territoire de la république, pour y tenir un Senatus consilium, dans lequel ils signoient les universaux. La raison de cette coutume étoit que, suivant les constitutions, les rois ne peuvent munir aucun acte des sceaux de la couronne & du grand duché, tant qu’ils demeurent hors des limites de l’état ; mais même dans ce tems cet usage n’avoit point lieu, si le roi étoit assez tôt en Pologne pour s’en exempter.

Diette sous le lien de Confédération.41. Pour donner au tableau des diettes, tant ordinaires qu’extraordinaires, tous les principaux traits qui leur conviennent, nous ajouterons que l’animosité, l’esprit de parti, les projets mûrement concertés, peuvent faire tenir ces sortes d’assemblées sous le lien de la confédération : & voici en quoi la chose consiste.

42. Une faction puissante veut amener quelque changement dans l’état, elle prend ses mesures de bonne heure, en s’assurant d’une quantité considérable de nonces dans les diétines, & en se faisant dans le sénat & dans les provinces le plus grand nombre d’amis qu’il lui est possible. Ne doutant point alors qu’elle n’ait la pluralité des voix dans la chambre basse & qu’elle ne soit d’ailleurs fortement appuyée au dehors, elle communique son projet à ses adhérens, elle le leur fait goûter par les moyens divers que l’humeur républiquaine rend pratiquables, & les engage, supposé que la diette ne se tienne pas naturellement, à la tourner en confédération, malgré l’opposition d’un petit cercle de nonces. C’est ainsi que se fait la véritable confédération qui naît d’une diette : & si la cour s’entend avec le parti prépondérant, il est presque impossible que le plan ne réussisse pas.

Senatus consilium post comitia43. Quelque soit l’issue des diettes ordinaires ou extraordinaires, les constitutions veulent qu’ensuite le roi tienne un senatus consilium, qu’on appelle postcomitial, dans lequel il indique les diétines de relations.

Diétines de relations.44. Ces diétines ont été instituées pour que les nonces y rendent compte de leur mission à leurs districts respectifs. Comme, après une diette rompue, ou traînée infructueusement jusques à sa fin, chacun cherche à rejetter sur autrui la faute d’un événement si contraire au bien de l’état, il peut arriver, & il arrive souvent que le senatus consilium postcomitial & les diétines de relations retentissent de plaintes indécentes, soit contre le roi, soit contre d’autres personnes respectables : c’est pourquoi il est rare aujourd’hui que les rois convoquent de pareilles assemblées, quand la diette n’a pas eu un heureux succès.