Les impôts en France/Chapitre 3

L. Prévaudeau
Henri Gautier (p. 18-24).

CHAPITRE III


les imports indirects. — les droits sur les boissons et sur le sel. — les péages. — les douanes. — les octrois


Les impôts indirects sont perçus, soit au profit de l’État, ainsi les douanes, l’enregistrement et les droite de timbre, les droits sur les boissons, etc. ; soit au profit des communes, comme les droits d’octroi, les droits de place dans les halles et marchés, les droits de voierie.

Nous avons vu à la suite de quelles réclamations unanimes contenues dans les cahiers du tiers état, la Constituante avait, à l’exception de l’enregistrement, supprimé les impôts indirects, si impopulaires sous l’ancien régime. Il nous reste à voir comment la plupart de ces impôts ont été rétablis en France.

Impôts indirects proprement dits. — On désigne aujourd’hui sous le nom d’impôts indirects proprement dits une série de droits sur les boissons, les sels, les sucres, les cartes à jouer, les voitures publiques, les poudres et salpêtres, etc., auxquels il faut joindre un grand nombre de taxes nouvelles ajoutées après la guerre de 1871. Il ne saurait entrer dans le cadre restreint de cet ouvrage d’examiner dans le détail chacun de ces impôts. Nous indiquerons sommairement la façon dont furent réorganisés ceux de ces impôts qui présentent un intérêt plus particulier au point de vue économique et historique, et notamment l’impôt sur les boissons, le plus important de ceux qui relèvent de l’administration des contributions indirectes.

Les droits sur les boissons furent rétablis en l’an XII ; la loi du 5 ventôse an XII établissait un droit d’inventaire sur les vins et cidres et un droit de fabrication sur les bières ; un droit nouveau fut perçu en 1806 sur le prix de la vente en gros et sur le prix de la vente en détail. Ce système fut abandonné en 1808 ; le droit d’inventaire et le droit de vente en gros furent remplacés par le droit de circulation le droit de vente en détail fut élevé et on établit un droit d’entrée dans les villes d’au moins 4,000 âmes. La loi qui régit la matière (28 avril 1816) a conservé ce système ; les droits comprennent 1° le droit de circulation ou d’expédition ; 2° le droit d’entrée ; 3° le droit de vente en détail ; 4° le droit de consommation sur les spiritueux ; 5° le droit de fabrication sur les bières ; 6° le droit de licence pour les fabricants et débitants.

Le droit de circulation est perçu à l’occasion du déplacement des boissons (vins, cidres, poirés ou hydromels). Le tarif varie suivant les départements qui ont été divisés en trois catégories. Le droit est d’autant plus élevé que le département est plus éloigné des pays de production ; il peut être perçu, soit au moment de l’enlèvement des boissons, soit au moment de l’arrivée. Le droit n’est pas perçu dans le cas de transport du pressoir au cellier ou d’un magasin à un autre magasin.

Le droit d’entrée dans les villes varie avec la classe du département et avec la population de la ville ; le droit, augmenté en 1873, a été réduit d’un tiers par la loi du 19 juillet 1880. Lorsque les boissons ne doivent pas être consommées dans la ville, la déclaration en est faite à l’entrée ; les droits sont consignés par le conducteur des boissons ; après vérification à la sortie de la ville, ces droits sont remboursés. C’est la faculté de passe-debout ou de transit.

Les contribuables peuvent en outre user de la faculté d’entrepôt ; dans ce cas, la quantité de marchandises qui entrent dans l’entrepôt est constatée et les droits ne sont payés que pour les marchandises qui en sont sorties. L’entrepôt est dit réel lorsqu’il s’agit d’un magasin public placé sous la garde de l’administration des contributions directes. Il est fictif lorsqu’il est fait dans des magasins privés ; dans ce dernier cas, ces magasins sont soumis à l’exercice, c’est-à-dire aux visites des employés chargés de vérifier si des marchandises en sont sorties.

Le droit de détail est perçu chez les débitants pour les quantités inférieures à 25 litres, à raison de 15 % du prix de la valeur vénale déclarée ; la perception en est assurée au moyen d’un abonnement pour une somme fixe ; les débitants peuvent aussi, moyennant un prix de tant par hectolitre, se soustraire à la formalité de la déclaration du prix de vente. Si les 2/3 des détaillants demandent l’abonnement, il devient obligatoire pour tous après approbation du ministre des Finances. Les communes peuvent aussi, avec la même approbation, s’abonner moyennant une somme déterminée d’accord avec l’administration des contributions indirectes.

Le droit de consommation sur les spiritueux frappe spécialement les alcools, eaux-de-vie et liqueurs ; la taxe est réduite pour les alcools dénaturés destinés à l’industrie.

Le droit de fabrication frappe les bières et boissons distillées. Les fabricants doivent, vingt-quatre heures avant chaque fabrication nouvelle faire une déclaration ; toutefois, ils peuvent se soustraire à cette obligation au moyen de l’abonnement. Les fabricants sont soumis à l’exercice.

Enfin, le droit de licence est dû par les débitants, brasseurs et distillateurs, à l’effet d’être autorisés à débiter ou à fabriquer. Ce droit est indépendant de la patente.

Droits sur le sel. — Le droit de consommation sur le sel a été rétabli par la loi du 24 avril 1806 pour subvenir à l’entretien des routes, et fixé alors à 20 francs les 100 kilogrammes ; il fut élevé à 40 francs par la loi du 17 décembre 1814, et ramené à 30 francs en 1815. Il est actuellement, depuis la loi du 28 décembre 1848, fixé à 10 francs par 100 kilogrammes. La taxe de consommation est perçue à l’enlèvement du sel des lieux de production.

Les droits de passage d’eau par ponts, bacs et bateaux, perçus par les fermiers des contributions indirectes, ont été successivement réduits par diverses lois depuis 1860. Les droits de navigation intérieure sur les fleuves et canaux, fixés d’après un tarif spécial à chacun des cas, ont été supprimés par la loi du 19 février 1880.

Droits de douane. — Les droits de douane sont perçus à l’entrée et à la sortie du territoire sur certaines marchandises.

Les droits de douane sont établis soit en vue de protéger l’industrie nationale, soit simplement à titre d’impôt. Nous avons vu que la Constituante avait supprimé les douanes intérieures; elle n’avait laissé subsister les douanes extérieures qu’avec des tarifs très modérés. La Convention et le premier Empire établirent, dans un but de protection, des droits plus considérables. A partir de 1852, au contraire, une tendance très marquée à la diminution des droits se fit sentir en France, et de nombreux traités avec les puissances étrangères furent conclus dans le sens de la liberté des échanges. Depuis 1871, dans l’intérêt du Trésor d’abord, en application ensuite de la théorie économique des protectionnistes, les tarifs des douanes ont été successivement augmentés. Nous nous éloignons de plus en plus du système du libre-échange que le second Empire s’était efforcé de suivre.

Les droits de douanes consistent soit dans des droits ad valorem, soit dans des droits spécifiques. Les premiers sont établis suivant la valeur des marchandises, d’après l’estimation que les parties ont faite ; mais, dans ce cas, l’administration des douanes a le droit de préemption, c’est-à-dire qu’elle peut prendre la marchandise en payant le prix de l’estimation augmenté de 5 %, et revendre ensuite cette marchandise au profit de l’Etat. Les droits spécifiques sont perçus d’après la nature et la quantité de marchandises, ou, pour les animaux, d’après leur nombre. Pour assurer le payement des droits de douane, une zone de quatre lieues a été établie parallèlement à la frontière, soit de terre, soit de mer. Dans ce rayon, aucune marchandise portée au tarif d’importation ou d’exportation ne peut circuler sans être accompagnée d’un congé délivré par les agents des douanes après paiement des droits.

Les octrois. — La suppression des octrois par l’Assemblée constituante amena bientôt ce résultat que les communes se trouvèrent privées de la source la plus importante de leurs revenus ; aussi une loi du 9 germinal an V décida-t-elle qu’en cas d’insuffisance des centimes additionnels pour les dépenses communales, il pourrait y être pourvu par les contributions indirectes et locales. Une loi du 27 vendémiaire an VII rétablit l'octroi de Paris sous le nom d’octroi municipal et de bienfaisance. Néanmoins, jusqu’alors, une loi était nécessaire pour que des octrois fussent créés.

La loi du 5 ventôse an VIII décida que les octrois pourraient être établis d’office par des actes du pouvoir exécutif dans toutes les villes dont les hospices ne seraient pas dotés de ressources suffisantes. Un arrêté du 24 frimaire an XI ordonna un prélèvement de 5 % sur les produits de l’octroi au profit de l’Etat ; ce prélèvement fut porté à 10 % par la loi du 24 avril 1806.

Jusqu’en 1842, une grande latitude fut laissée aux villes pour la création des octrois, dont l’État bénéficiait. Les villes usèrent de cette faculté, et un grand nombre d’entre elles demandèrent et obtinrent du gouvernement l’autorisation de se grever de surtaxes. On appelle surtaxe la partie du droit qui excède le maximum fixé par des lois spéciales pour certains objets soumis à un impôt au profit du Trésor les alcools, vins, cidres, poirés, hydromels et huiles végétales.

La loi du 11 juin 1842 décida qu’aucune surtaxe ne pourrait être établi qu’en vertu d’une loi ; les surtaxes existantes devaient cesser de plein droit le 31 décembre 1852. Le décret-loi du 17 mars 1852 supprima le prélèvement de 10 % au profit du Trésor et réduisit les taxes d’un dixième.

Aujourd’hui, sous l’empire de la loi du 5 avril 1884, l’établissement des taxes d’octroi votées par les conseils municipaux, ainsi que les règlements relatifs à leur perception, sont autorisés par des décrets du Président de la République, rendus en Conseil d’état, après avis du Conseil général. Il en est de même de toute délibération portant augmentation ou prorogation de taxe pour une période de plus de cinq ans.

La création de taxes d’octroi peut avoir lieu sur l’initiative du conseil municipal : 1° lorsque ces taxes sont nécessaires à la commune pour l’acquittement de ses dépenses obligatoires ou facultatives ; 2° lorsqu’une commune veut remplacer en tout ou en partie la contribution personnelle mobilière par un prélèvement sur les produits de l’octroi.

Peuvent être soumis à l’octroi, aux termes de la loi du 28 avril 1816 « les objets destinés à la consommation locale » Ces droits portent notamment sur les boissons et liquides, les comestibles, les combustibles, les fourrages et les matériaux. Les tarifs sont votés par les conseils municipaux, mais il appartient toujours au gouvernement de les admettre ou de les modifier dans l’intérêt général.

Les villes peuvent choisir entre quatre modes d’administration des octrois : 1° la régie simple ; dans ce système, la perception est faite sous la direction immédiate du maire ; 2° la régie intéressée, qui consiste à traiter avec un régisseur moyennant un prix fixe et une part déterminée dans les produits excédant le prix principal ; 3° la ferme, adjudication pure et simple des produits de l’octroi ; 4° l’abonnement avec l’administration des contributions indirectes ; la perception est alors faite par cette administration moyennant une remise proportionnelle ou une somme fixe pour le traitement des employés. Les traités doivent être approuvés par le ministre des Finances.

La loi du 5 avril 1884 exige l’approbation du préfet pour les délibérations des conseils municipaux relatives à la suppression ou à la diminution des octrois. Cette mesure a été prise pour éviter que les villes, dont les budgets sont grevés de charges très lourdes ne remplacent l’octroi par des centimes additionnels qui pèseraient sur les populations rurales non soumises à l’octroi.

Les critiques formulées contre les octrois sous l’ancien régime n’ont cessé de se reproduire depuis que les octrois ont été rétablis ; elles sont d’ailleurs communes à tous les impôts indirects qui atteignent immédiatement la consommation. Dans l'exposé présenté par M. Guillemet à la Chambre des députés, le 7 avril 1892, il est dit « que cette question est à l'ordre du jour depuis un siècle ; qu’elle s’impose surtout à l'heure actuelle, en raison de l’augmentation considérable des droits de douane, et qu’il importe d’en finir avec un système d’impôt qui pèse presque tout entier sur les classes laborieuses ». Le rapporteur ajoute : « L’octroi n’est pas proportionnel aux facultés imposables des citoyens ; il nuit au développement de la richesse publique… ; il superpose aux douanes extérieures, déjà si lourdes, 1,500 douanes intérieures peut-être plus lourdes encore ; il est la cause de gaspillages financiers des communes… il est un impôt onéreux ; il excite à la fraude et à la falsification des denrées ; il nuit à la consommation… »

M. Guillemet établit que l’Amérique du Nord, la Russie, la Saxe, l'Écosse, l’Angleterre (sauf de rares exceptions), la Suède et la Norvège, le Portugal, l’Autriche ; la Bavière, la Suisse, la Turquie, la Grèce n’ont jamais eu recours à des taxes locales indirectes. La Belgique s’est débarrassée des octrois en 1860 ; la Hollande en 1864 ; l’Espagne en 1868 a supprimé toutes les taxes indirectes ; le Danemark a supprimé ses octrois en 1885. La Prusse, dès 1820, a supprimé les octrois dans les provinces rhénanes autres que la Westphalie. L’Italie et la France sont les seuls pays en Europe dont les taxes locales soient établies en presque totalité sur l’impôt indirect.

A la suite du remarquable rapport de M. Guillemet, la Chambre des députés a adopté, en 1892, un projet de loi relatif à la suppression des octrois et à leur remplacement par diverses taxes limitativement indiquées. Voici ce projet de loi qui est actuellement soumis à l’approbation du Sénat :

« Art. 1er . — Les communes auront le droit de remplacer leurs octrois en tout ou en partie, sous réserve de l’approbation législative, par des taxes directes choisies parmi les suivantes : centimes additionnels aux quatre contributions directes ; taxe sur la valeur vénale de la propriété ; taxe sur la valeur locative ; taxe sur les revenus ; impôt de superficie ; droits de place calculés au mètre cube ; taxe sur les constructions, sur les chevaux, hôtels, cafés, restaurants.