Éditions Édouard Garand (p. 75-76).

CHAPITRE IX
BOB L’INDIEN.


Nanette priait toujours ; elle sentait battre sous sa main le cœur de Marguerite ; un peu de chaleur revenait à ses doigts, et la prière de la bonne fille continuait toujours plus fervente, à mesure que le temps s’écoulait et que la nuit commençait à envahir la chambre.

Tout à coup, un pas rapide résonna sur la neige durcie, on monta les degrés du perron et le marteau, soulevé par une main impatiente, retomba avec un bruit sonore.

Françoise courut ouvrir et Nanette, anxieuse, entendit une voix d’homme prononcer son nom. Alors, elle ouvrit la porte, et se trouva en face de Bob l’Indien. Nanette le connaissait, elle l’avait vu deux ans auparavant chez Mme Bernier.

— C’est vous, Bob ! dit-elle. Je crois que c’est Dieu qui vous envoie… Ma pauvre Marguerite se meurt !…

Bob tressaillit.

— Elle est ici ! s’écria-t-il.

— Venez, dit simplement Nanette.

Et elle l’entraîna près du lit.

À la vue de la jeune fille, pâle et les traits tirés, plus semblable à une morte qu’à une personne vivante, le sauvage ne put retenir un cri de désespoir :

— Mon Dieu !… elle est morte !…

— Non, dit Nanette, en posant sa main sur le cœur de la jeune fille, le cœur bat encore, faiblement il est vrai, mais il bat.

L’Indien avait retrouvé son calme habituel.

— Donnez-moi un peu d’eau et une cuillère, dit-il. Je vais essayer de faire cesser cette syncope.

Nanette lui présenta un verre d’eau. Bob y jeta quelques racines retirées de sa poche, et attendit. Bientôt l’eau se colora d’un rose pâle. Alors Bob, aidé par Nanette, en fit avaler quelques gouttes à la jeune fille.

Puis, tombant à genoux, il cacha sa tête dans ses mains.

— Vous ne permettrez pas qu’elle meure, mon Dieu ! s’écria-t-il, elle est trop jeune, trop belle et trop aimée pour mourir ! Ah ! prenez ma vie, moi qui ne suis la première affection de personne. Sauvez-la, et je jure de me consacrer aux missions.

Les sons déchirants de cette voix avaient tiré la jeune fille de son sommeil de mort. Elle ouvrit les yeux, et sourit à la figure baignée de larmes qui se penchait vers elle.

— Je vous attendais, dit-elle d’une voix faible.

— Ne parlez pas, buvez plutôt, dit Bob en présentant le verre à la malade. Celle-ci but docilement, et murmura : « Odette ?… »

— Odette est heureuse, et je vous conduirai près d’elle. Pour cela, il faut être docile. Avez-vous du vin ici, Nanette ?

Nanette sortit, et revint avec une carafe qu’elle posa sur la table. Bob versa un demi-verre de vin auquel il ajouta du sucre et les racines restées dans le premier verre qu’il avait préparé.

Il brassa le tout longuement, puis il revint vers le lit.

— Il faut boire ceci, mademoiselle, dit-il. Vous n’êtes plus seule, et vos souffrances sont finies… Dormez pour revoir Odette, ajouta-t-il très bas, en posant sa main sur le front de la jeune fille. Demain, j’aurai une longue histoire à vous raconter. Soyez tranquille, Nanette et moi, nous restons près de vous.

Marguerite prit la main de Nanette et la garda dans la sienne.

— Quelle bonne nuit je vais avoir, dit-elle. La première depuis de longs mois. Merci, Bob, mon frère. Oh ! que je suis heureuse…

Ses yeux se fermaient ; elle murmura encore, « Je suis heureuse… » et elle s’endormit.

— Vous l’avez sauvée, monsieur Bob, dit Nanette. Oh ! que M. Harry va être content, il est parti désespéré, l’autre jour.

— Mais il ne faut pas qu’il sache. Nanette, comprenez-moi bien ma bonne. Je puis vous conduire vous et Marguerite auprès d’Odette, mais je ne puis dire où elle est. C’est un secret duquel dépend la vie de plusieurs personnes. Je suis lié par un serment, donc vous me promettez le silence.

— Oui, monsieur Bob. Je suis assez contente de penser que je vais revoir ma petite Odette.

Le lendemain, Marguerite reposée par une bonne nuit de sommeil, s’éveilla plus forte. Ses deux fidèles gardiens ne l’avaient pas quittée.

— Que vous êtes bons, dit-elle, et que je me sens bien ce matin. Donne-moi un peu de bouillon, Nanette. Celle-ci apporta une tasse pleine que la jeune fille avala jusqu’à la dernière goutte.

— À présent, dit-elle, en s’installant commodément sur ses oreillers, vous allez dejeûner tous deux près de moi, puis Bob me racontera l’histoire qu’il m’a promise.

Pendant le déjeûner, Bob, à voix très basse, fit part aux deux femmes de tout ce qui pouvait les tranquilliser sur la position de la chère Odette.

— À présent, je pars tranquille, acheva le jeune sauvage en serrant la main des deux femmes. Je compte sur votre discrétion. Lorsque je reviendrai, mademoiselle sera guérie. Silence et adieu !…

Après son départ, Marguerite dit à sa vieille amie :

— Lorsqu’il reviendra, je serai forte… En effet, avec le bonheur, les couleurs revinrent aux joues de la jeune fille. L’ange aux ailes noires qui planait sur sa tête depuis de longs mois, avait disparu, chassé par ces deux forces invincibles : L’amour et le repentir.