Éditions Édouard Garand (p. 74-75).

CHAPITRE VIII
REPENTIR.


Marguerite essaya d’abord d’organiser sa vie, afin de laisser le moins de prises possibles au désœuvrement. Elle assistait à la messe tous les matins et trouvait une grande consolation à prier librement dans la petite église, un peu sombre, où l’on pouvait s’isoler dans l’ombre d’une colonne, de façon à se croire toute seule avec Dieu. Elle y revenait, chaque soir, demander à Dieu le courage et la patience, afin de supporter sa vie d’inquiétudes et de tristesses. Elle avait ses livres favoris, les délicats ouvrages auxquels Odette donnait autrefois une collaboration active, mais son esprit était de ces pages, si goûtées lorsqu’elles étaient lues par la douce voix d’Odette. Les fins ouvrages, eux-mêmes, avaient perdu leurs attraits, puisque la petite sœur n’était plus là pour en prendre sa part. C’est ainsi qu’en voulant échapper au souvenir, il la poursuivait avec la persistance d’une hantise.

D’autre part, la maladie de Mme Merville s’aggravait de jour en jour, le délire ne la quittait presque plus. Ses cris et ses plaintes énervaient la jeune fille et troublaient son sommeil. Dans ses rares moments lucides, Ellen réclamait la présence de sa belle-fille, et la suppliait de lui pardonner, et c’était des scènes de désespoir qui achevaient d’épuiser la pauvre enfant.

Le bon curé, qui s’intéressait à cette jeune fille si éprouvée lui conseilla de retourner à Québec.

— Vous n’êtes pas utile ici, mon enfant, dit-il, et la vie dans cette maison n’est pas bonne pour vous. Que feraient ces pauvres filles, si vous alliez tomber malade à votre tour ! Si vous voulez, j’enverrai un messager chez vos amis ?

— Je crois que cela ne sera pas nécessaire, répondit Marguerite. M. O’Reilly, mon fiancé, doit venir cette semaine. Vous avez raison, monsieur le curé, l’atmosphère de cette maison me tue. Vous direz vous-même à ma bonne Nanette qu’il est nécessaire que je parte, à cause de ma santé.

— Soyez tranquille, mon enfant, j’arrangerai les choses.

Mais il était trop tard pour Marguerite ; le lendemain, elle fut incapable de quitter son lit. Il n’y avait pas de médecin dans les environs. Le bon curé prescrivit quelques remèdes qui produisirent une réaction salutaire. Le danger était écarté, pour le moment du moins.

— Je crois une rechute, dit le curé à Nanette. La moindre émotion peut amener une syncope, et alors, tout serait à craindre… Et dire que c’est l’inquiétude qui fait mourir cette enfant…

— Priez Dieu qu’il fasse un miracle, monsieur le curé.

— Dieu n’abandonne pas ceux qui mettent leur confiance en lui, ma bonne Nanette. Il aura pitié de ces pauvres petites.

Marguerite reprenait un peu de force, elle marchait maintenant dans la maison, et paraissait reprendre ses habitudes, lorsqu’un beau matin, elle reçut la visite d’Harry, qui s’inquiéta en la voyant si pâle :

— Mais vous êtes malade, ma pauvre chérie ! s’écria-t-il, et moi qui venait vous chercher…

Marguerite sourit en tendant les deux mains à son fiancé.

— Je ne supporterais pas le voyage, dit-elle, mais j’espère que dans quelques semaines, je serai assez forte pour vous suivre. J’ai hâte de quitter cette maison.

Le jeune homme passa une partie de la journée près de sa petite amie. Ils causèrent de leur prochain mariage et du retour d’Odette. Harry annonça à sa fiancée que son cousin Murray enverrait au printemps un navire à la recherche de Kerbarec, car il était persuadé, lui aussi, que le corsaire était l’auteur de l’enlèvement. Marguerite souriait à ces propos qui mettaient un peu de baume dans son âme. Elle paraissait si calme ; Harry la quitta, le cœur plus léger, en lui disant : « Dans un mois ».

Quelques jours plus tard, Mme Merville voulut faire venir Marguerite dans sa chambre ; Nanette s’y opposa en lui disant que la jeune fille, reprise par une grande accès de faiblesse était incapable de quitter son lit.

— Alors, vous allez me conduire chez elle, dit Ellen. Je veux la voir.

On dut satisfaire à ce désir. Comme Ellen ne pouvait marcher, ce fut assise dans son fauteuil que les deux servantes la transportèrent près du lit de Marguerite.

La jeune fille, plus blanche que les dentelles de ses oreillers, se souleva un peu et tendit la main à sa belle-mère.

— Vous sentez-vous mieux, Ellen ? demanda-t-elle.

Mme Merville joignit les mains.

— Vous vous inquiétez de ma santé ! Vous m’avez donc pardonné, Marguerite ?

— Oui, je vous ai pardonné, dit la jeune fille. Vous souffrez, Ellen ! Priez Dieu, il soulagera vos souffrances…

— Dieu !… dit la malade avec un geste d’effroi, je l’ai tant offensé…

— Votre repentir effacera vos fautes.

— Mes fautes ! dites mes crimes… Écoutez, je vais tout vous dire.

— Non, non, cria la jeune fille. J’en sais assez… je vous ai pardonné de bon cœur, Ellen, mais laissez le passé où il est… Confessez-vous à un prêtre, et le calme reviendra dans votre âme… Adieu, ces scènes me brisent… Laissez-moi mourir en paix… Et, brisée par l’émotion, la jeune fille se renversa en arrière, sans voix, et presque sans souffle.

— Non, vous ne mourrez pas ! s’écria Mme Merville. Ô mon Dieu ! prenez ma vie, je vous l’offre… mais sauvez cette enfant que j’ai tant fait souffrir, et qui m’a pardonné… Pitié pour elle, et pardon pour moi. Mais le délire revenait. Ellen se mit à marmotter des mots sans suite, et, on la ramena dans sa chambre.

Nanette essaya de ranimer Marguerite. Ne pouvant réussir, elle s’assit, et en cherchant à réchauffer les mains glacées, de la jeune fille dans les siennes, elle se mit à réciter son chapelet.

N’espérant plus rien de la terre, la bonne vieille suppliait le ciel de venir à leur aide.

Son appel devait être entendu.