Éditions Édouard Garand (p. 67).

CHAPITRE II
UNE SURPRISE.


Dans son cabinet, Georges de Villarnay avait mis en ordre les papiers qu’ils voulaient emporter, au cas où son absence se prolongerait, puis il se rendit chez Mme Merville.

Celle-ci n’avait pas repris connaissance, le docteur donna ses instructions à Nanette, et lui dit de ne pas s’inquiéter au sujet d’Odette.

— Elle partagera la chambre de ma vieille Angèle, cette nuit. Vous préparerez, ses effets car je veux la conduire à Québec demain.

— Et ma pauvre Marguerite ?

— Ménard doit l’avoir entraînée à Québec. Avec l’aide d’Harry, j’espère la retrouver là. Si votre maîtresse revient à elle, prévenez-moi, je reviendrai dans la soirée.

En entrant chez lui, le jeune homme trouva Odette assise près d’Angèle, écoutant une histoire que la vieille fille lui racontait.

— Tu ne ramènes pas Marguerite, Paul ?

— Je t’ai dis que nous irions la rejoindre demain ; ma petite, tu vas souper et aller dormir sur le lit d’Angèle, elle est très bonne, vois-tu !

— Je sais, dit la jeune fille, en tendant son front à la servante. Je serai très bien près de vous.

La table était prête ; Odette mangea de bonne appétit, puis elle prit le bras de la vieille fille :

— Je vais dormir, dit-elle. Bonne nuit, Paul !

— Bonne nuit, petite sœur… Odette se laissa déshabiller. Puis elle s’agenouilla, et dit à Angèle :

— Venez prier près de moi, comme Nanette.

Le docteur se disposait à sortir lorsqu’on frappa à la porte.

— Entrez, dit-il d’un ton un peu contrarié.

La porte s’ouvrit sous une main impatiente et une voix joyeuse s’écria :

— Enfin, me voilà arrivé !

— Philippe !… c’est toi !… et Georges vint tomber dans les bras de l’arrivant.

— Tu étais loin de m’attendre, hein ! mon bon ! J’en ai long à te raconter vois-tu, mais la table est encore toute servie, et j’ai une faim de loup. Pour te faire prendre patience, je te dirai que tout le monde est bien au pays. À présent, laisse-moi satisfaire mon appétit, conclut le jeune homme en se servant une copieuse tranche de porc.

— Incorrigible farceur ! dit Georges, gagné par cette gaieté communicative, tu seras donc toujours le même.

— Que veux-tu que j’y fasse, mon ami, dit Philippe, la bouche pleine ; c’est si bon de rire, même lorsqu’on a envie de pleurer.

— Hélas, je crois que je ne sais plus rire, dit le docteur.

— Tais-toi, je t’apporte un tas de bonnes nouvelles. Ta mère est en excellente santé ; Éva est maintenant une charmante jeune fille, et notre exil finit dans six mois.

— Avec la perspective de revoir ma belle France, six mois seront vite passés. Mais pourquoi ne pas partir cet automne ?

— Ce sont des choses que je ne puis communiquer qu’à toi. As-tu une chambre où nous puissions causer sans être entendus.

Georges se tourna vers Angèle qui finissait d’enlever le couvert.

— Il est tard, ma bonne, dit-il, retournez près d’Odette. Monsieur et moi, nous avons à causer.

La servante obéit.

— Tu peux parler maintenant, personne ne viendra nous troubler.

— Oui, mais laisse-moi te demander quelle est cette Odette à laquelle tu sembles t’intéresser ?

— C’est la sœur de notre ami, Paul Merville.

Et le jeune docteur raconta à son ami attentif tout ce qui s’était passé depuis son départ.

— Tu comprends, dit-il en terminant, que j’aie arrachée la pauvre petite de cette sinistre maison. Demain je vais la conduire chez des amis, puis je me mettrai à la recherche de sa sœur. À présent, dis-moi tout, j’ai hâte de savoir.