Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/45

XLV


Que l’on veuille bien me permettre de revenir ici sur les conférences du R. P. Didon sur le divorce. Nous avons vu comment il expliquait la doctrine de l’Église sur le sacrement, doctrine qui se résume dans l’ébouriffante assertion que le sacrement de mariage ne ressemble en rien aux autres sacrements et que ce sont de simples laïcs qui le produisent et se l’administrent. Voilà, certes ! un paradoxe de taille peu ordinaire. Nous allons en voir de tout aussi étonnants relativement au divorce et au principe de l’indissolubilité.

Procédons par ordre.

« Quand, au commencement des choses, dit le rév. Père, apparut le premier couple humain, l’homme n’avait qu’une femme et la femme qu’un homme. L’indissolubilité est donc originelle ! » Eh bien voilà une conclusion qui aurait valu un joli pensum au rév. Père au temps de la scolastique.

Admettons pour un instant que le prétendu Adam et la prétendue Ève étaient des personnages réels et non purement légendaires ; admettons que le commencement des choses remonte à ces deux mythes de l’antique ignorance ; admettons encore que les deux premiers chapitres de la Genèse ne forment pas deux récits différents, fragmentaires, d’époques différentes et d’association d’idées différentes aussi, et de plus en contradiction formelle l’un avec l’autre ; admettons que le document jéhoviste — 1er chapitre — et le document élohiste — 2e chapitre — n’ont pas été copiés de documents plus anciens : indous, persans, chaldéens ; admettons enfin, ce qui est absolument faux, qu’il n’y eût pas d’hommes sur le globe à l’époque assignée à Adam par les généalogies de Jésus ; tout ce que le rév. Père pouvait conclure de l’assertion que le prétendu premier homme n’avait qu’une femme et la prétendue première femme n’avait qu’un homme, c’est que ni la polygamie ni la polyandrie ne sont permises. Mais conclure de là que l’indissolubilité du mariage est originelle, c’est tout simplement démontrer que l’on n’a pas réfléchi une minute à la conséquence rationnelle de la prémisse posée. De ce qu’un homme ne doit avoir qu’une femme suit-il qu’il n’existe pas de raison possible de l’annulation du contrat qui les unit ? Mais Jésus a trouvé une raison ! Qu’en a fait l’Église ? Et pourquoi le P. Didon n’y fait-il pas la moindre allusion ?

Le P. Didon n’aurait jamais exprimé une conclusion aussi peu en rapport avec sa prémisse devant un tribunal de légistes. Mais il avait affaire à un auditoire auquel il était défendu de réfléchir et il en a profité avec un sans gêne tout ecclésiastique. « Personne ici ne décomposera mon raisonnement, faisons donc du sophisme pour plaire à mon Église et pour conserver des âmes à Dieu. »

Singulière manière de conserver des âmes à Dieu que de leur affirmer des choses fondamentalement incorrectes.

Le R. P. base aussi sa prétention que le mariage est indissoluble sur ce que le rapport qui existe entre l’enfant et les parents ne peut être brisé par aucune puissance quelconque. Toujours confusion des principes et des choses par celui qui reproche aux autres de faire des confusions qu’ils ne font pas ! Sans doute on ne peut pas faire que la mère ne soit pas mère de son enfant. C’est-à-dire que le lien de parenté existe per se, quelque chose que l’on puisse tenter. Mais quand un père et une mère martyrisent leur enfant — comme ce monstre de femme, à Paris, qui appliquait des fers rouges sur l’abdomen de sa petite fille de cinq ans — l’autorité civile n’est-elle pas obligée d’intervenir pour protéger l’enfant ? Elle n’annule pas la parenté, mais elle brise les rapports extérieurs de vie commune de l’enfant et des parents qui violent leurs devoirs d’une manière si abominable. Et puis, comment le R. P. peut-il prétendre qu’il y ait analogie parfaite entre les rapports d’époux et d’épouse et ceux de parents et d’enfants ? Il y a là confusion incompréhensible, chez un homme de cette intelligence, de rapports essentiellement dissemblables car la nature du lien n’est la même à aucun point de vue. Le R. P. a vu faux, et c’est son système qui lui a mis un prisme faux devant les yeux. On raisonne ainsi quand on s’est mis sur le nez des lunettes théologiques. Quand un homme de son talent et de son intelligence a raisonné faux c’est que son système ne lui permet pas de raisonner juste.

J’admets pleinement qu’en règle générale le mariage doit être perpétuel. Le principe de l’indissolubilité est juste en lui-même. Mais de ce qu’il est juste conclure qu’il ne saurait y avoir de raison pour le briser dans certains cas exceptionnels, c’est raisonner en sectaire et non en homme sensé qui a su se mettre un peu de logique dans l’esprit.

Si au lieu d’affection, de sympathie et de douceur dans les relations, de complaisances réciproques, de fidélité mutuelle, de protection, un conjoint ne cause plus au bout de quelques années qu’ennuis de toutes sortes ; s’il n’a plus pour sa femme que paroles blessantes, mauvais traitements, haine, perfidies ; si la cohabitation devient un enfer de tous les jours ; si le mari entretient des femmes dans sa propre maison ; s’il communique d’infâmes maladies à sa femme — et à ses enfants par suite de l’allaitement — peut-on prétendre que même dans ce cas le lien reste indissoluble et que la femme est enchaînée pour toujours à cette bête brute ? Comme on voit bien ici les procédés de raisonnement de la foi à qui il est impossible de raisonner juste ! Le droit ecclésiastique peut-il annuler le droit naturel ? Mais le R. P. lui-même assure que non. Or, de droit naturel, l’indissolubilité absolue n’existe pas. Elle n’est que de droit ecclésiastique. C’est surtout en vue du bon ordre social qu’on a prononcé l’indissolubilité. Mais aucun homme sensé, non aveuglé par un système, ne peut prétendre qu’il ne saurait jamais y avoir d’exception à une règle ou à une loi. Et cette exception surgit, et doit surgir, quand le droit d’une des parties au mariage est violé dans ce qu’il y a d’essentiel. Ici le bon ordre exige que le lien soit brisé.

Il est des injustices de la part de l’un des conjoints auxquelles l’autre conjoint ne peut pas être obligé par la loi de se soumettre. Et n’oubliez donc pas, pour l’amour de Dieu, que c’est Jésus, votre maître, qui a décidé cela !

Sous le principe de justice la femme d’une brute cruelle ou immonde peut être protégée. Ce n’est que sous le faux principe de grâce, ou pratique ecclésiastique, qu’on lui refuse cette protection. Le dogme, qui punit dans les enfants l’iniquité des pères, se trouve ainsi forcément la négation de la justice. La preuve en est qu’il décrète que ce qui est injuste chez l’homme devient juste chez Dieu, transcendante absurdité à laquelle il serait vraiment temps de donner congé.

Malheureusement le prêtre, habitué à raisonner faux dans un système qu’il avoue ne pas pouvoir démontrer par le raisonnement, ne fait que poser des principes justes dans son faux système, mais conséquemment faux en droit naturel. Il faut donc le redresser sur la question du mariage comme sur celle de la liberté de conscience qu’il conteste avec fureur parce qu’il ne peut pas raisonner juste sur la question.