Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/30

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Ainsi, avec toutes ces causes de nullités dont plusieurs étaient infiniment moins rationnelles que celle définie par Jésus, on concédait réellement le fait du divorce mais sous sa forme la plus répréhensible puisque l’enfant innocent n’avait plus d’état civil. Le divorce est infiniment moins immoral que le système des nullités parce qu’il ne rend pas les enfants bâtards aux yeux de la loi, ce que faisaient journellement les déclarations de nullité. Et ce qui montre que le prêtre n’a jamais eu le sens de la justice, ni au fond ni dans sa forme extérieure, la procédure, c’est que l’on consacrait, à propos même des causes nullement radicales de nullité décrétées par l’Église, le principe de la rétroactivité, séparant non seulement les époux qui avaient longtemps cohabité ensemble et s’étaient créé une famille, mais déclarant bâtards des enfants innocents dont les parents étaient loyalement mariés devant Dieu mais qui cessaient de l’être aux yeux de l’Église pour une cause qui leur était inconnue, comme par exemple le fait de parenté au 7e degré. Déclarer nul un pareil mariage où les parties étaient innocentes, puisqu’elles n’avaient pas sciemment violé une cause sérieuse de nullité, constituait une vraie monstruosité en droit, mais l’Église comprenait encore bien moins le droit alors qu’aujourd’hui. En pareil cas rien n’empêchait une simple régularisation de la situation mais on n’en eût pas tiré autant d’argent. Voilà pourquoi on commençait d’abord par séparer les époux innocents de toute faute, et avant de pouvoir se remettre ensemble ils devaient satisfaire la rapacité de l’official. Voilà comment on respectait le principe de l’indissolubilité ! Sous les moindres prétextes on séparait les gens afin de leur tirer de l’argent.

Ainsi dans le seul but d’affirmer la juridiction et la suprématie absolue de l’Église en tout ordre d’idées on commettait sans cesse les plus criantes injustices et même les plus graves immoralités, brisant les familles pour les raisons les plus légères et quelquefois les plus absurdes en droit naturel, et on faisait ainsi, par pure arrogance sacerdotale, mille fois plus de bâtards que n’en eût jamais faits le divorce.

Sous le système de l’empêchement de parenté poussé jusqu’au 7e degré les gens n’étaient jamais sûrs d’être régulièrement mariés. Et il fallait présenter à l’official des actes de généalogie sans fin qui coûtaient souvent très cher et pour l’examen desquels il fallait encore payer. De là une source très importante de revenus pour l’Église. C’était là, en fait, le seul objet de l’extension insensée de cet empêchement de mariage. Et voici une des brillantes raisons que l’on en donnait : « Le monde avait été fait en six jours et Dieu s’était reposé le septième. »

Va-t-on croire que je charge le tableau ? Mais ne disait-on pas à Galilée, plusieurs siècles plus tard, qu’il ne pouvait y avoir que sept planètes parce qu’on avait sept chandeliers d’or dans le tabernacle, ou le chandelier à sept branches dans le Temple, ou parce qu’on avait eu les sept églises d’Asie ?

C’est sous le pape Léon iii, au ixe siècle, que le Saint-Esprit suggéra à ses représentants cet adroit et honnête moyen de plumer les fidèles. Me dira-t-on que pareille suggestion de pareille source est impossible ? À première vue l’objection paraît sérieuse, mais Léon x n’écrivait-il pas à l’électeur de Saxe, le 15 juin 1520, que le Saint-Esprit n’était jamais absent du siège apostolique ? Donc il devait être aux côtés de Léon iii à propos du 7e degré de parenté. Il était sans doute aussi près de Sixte IV quand il organisait l’assassinat des Médicis pendant la messe, ou à côté du doux Pie v quand il suggérait à Philippe II l’assassinat d’Élisabeth.

On n’a pas d’idée des imprévus que l’on découvre à chaque tournant de route dans l’histoire de l’Église.

Les empêchements de mariage, sous la haute compétence ecclésiastique, s’étendaient donc jusqu’aux petits enfants des cousins germains. Nombre de gens se trouvaient ainsi, sans s’en douter le moins du monde, parents au degré prohibé ; donc leur mariage se trouvait entaché de nullité aux yeux de l’Église et même après la mort des parents les enfants se voyaient déclarés illégitimes par les officialités. C’était honteux et abominable, mais il fallait payer ou rester bâtard.[1]

Au reste, que signifiait pour le clergé le fait de bâtardise ? Les deux cent mille prêtres de l’Europe avaient presque tous leur concubine et leurs enfants, et les couvents de femmes en étaient pleins du fait des moines, moins pourtant ceux que l’on jetait dans les puits ou que l’on inhumait dans les murs.

Tout mariage prétendu nul était une bonne fortune pour l’Église car on imposait arbitrairement les dispenses d’après les moyens présumés des gens, et pourvu que les officiaux pussent saigner à blanc les fidèles la moralité des actes importait peu. Les écrivains les moins suspects le constatent, entre autres Pierre de Blois, un canonisé pour avoir ressuscité des chevaux.

Les officiaux des évêques, dit-il, rendent dans les mains de leur maître tout le sang qu’ils ont bu. Ils éternisent les contestations et dressent des embûches aux simples pour leur extorquer de l’argent. Ils interprètent le droit au gré de leur cupidité. Ils nourrissent les discordes, dissimulent les fornications, protègent l’adultère, rompent les alliances et cassent les mariages sous les moindres prétextes.

Voilà comme le clergé observait le principe de l’indissolubilité absolue : briser le lien matrimonial sous les moindres prétextes. Pourquoi l’Église n’intervenait-elle jamais ?

Et Nicolas de Clémengis :

Que dirai-je de la justice ecclésiastique ? Il y règne une violence, une oppression telle que les hommes préfèrent la justice des plus cruels tyrans à celle de l’Église !

Eh bien ! si l’Église le pouvait elle nous imposerait encore ses officiaux.

On avait donc certains empêchements légitimes fondés sur le droit naturel — mais ces empêchements venaient tous de la loi romaine — et les empêchements de pure convention imaginés pour augmenter les revenus du clergé. Et ces gens qui séparaient deux époux, parents sans le savoir au 6e ou 7e degré, ou qui permettaient à un homme d’abandonner sa femme pour se faire prêtre, étaient horripilés à l’idée d’un divorce pour cause d’adultère ! Haute compétence ecclésiastique !  !

L’organisation du mariage par l’Église a été la source d’une énorme exploitation de la religion au détriment des malheureux fidèles. Il fallait faire bénir le lit nuptial moyennant finance. Il fallait en sus payer pour la première nuit passée avec sa femme. Il fallait enfin payer pour les trois premières nuits, qui appartenaient à la Sainte-Vierge et pendant lesquelles les mariés devaient se regarder dans le blanc des yeux comme frère et sœur. Or c’est la justice laïque seule qui a forcé l’Église de renoncer à ces coupables exactions.

  1. Il ne faut pas croire que l’empêchement résultant du septième degré de parenté fût le moins du monde regardé comme régulièrement canonique. On n’avait dépassé le troisième degré que pour augmenter les revenus de l’Église au moyen des dispenses. Et c’est sur pareille considération divine que l’on avait mis toute la France en interdit sous le roi Robert qui n’était parent qu’au septième degré avec la reine Berthe. Il est vrai qu’ils avaient été parrain et marraine ensemble, ce qui leur constituait une parenté spirituelle ajoutée à la parenté au septième degré. L’Église oserait-elle aujourd’hui mettre un pays en interdit sur pareilles raisons ? Puisqu’elle n’y pourrait plus songer elle se trompait donc.