Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/11

XI


Nous venons donc de voir : 1o la grande gardienne de la morale prise en flagrant délit de tromperie en cachant aux fidèles ce qu’ils ont intérêt à connaître. C’est elle, et elle seule, qui est intéressée à ce qu’ils ne le sachent pas. Où et quand la loi civile cache-t-elle aux gens ce qu’ils doivent connaître ? 2o Nous avons vu les théologiens sans cesse en conflit les uns avec les autres dans les explications qu’ils donnent de la jurisprudence ecclésiastique. La théologie, le droit canon, c’est toujours la jurisprudence de l’incertitude. Et par dessus tout cela vient le probabilisme qui nous informe que le catholique peut agir en sûreté de conscience sur l’opinion de docteurs graves et même d’un seul docteur grave. C’est parfait, mais quand les docteurs graves se contredisent comment diable trouver sûrement le chemin du ciel dans ce perpétuel conflit d’opinion chez des docteurs graves qui se moquent les uns des autres ?

Dominée par la seule logique des choses l’Église a enfin fini par comprendre que le mariage est avant tout une pure affaire de droit naturel. Mais il ne lui était plus possible de l’admettre explicitement. Elle a compris aussi qu’en pratique sociale il n’était pas possible à l’État d’admettre que le contrat disparût dans le sacrement, prétention qui conduisait à cette monstrueuse conséquence que les non-catholiques mariés seraient considérés comme vivant dans le concubinage. Enfin elle a vu qu’il lui fallait de toute nécessité faire une petite volte-face dans les définitions et les applications car si le mariage est un pur acte de droit naturel comment avait-elle pu en faire un sacrement au sens propre du mot ?

Prenez ses autres sacrements. Quel rapport ont-ils avec le droit naturel ? Aucun. Ils ressortent exclusivement de l’ordre ecclésiastique, c’est-à-dire sont chose de pure convention hors du système catholique. Ils n’existent que là. L’Église a imaginé, longuement défini et lentement appliqué, certaines opérations mystiques qui, à la seule exception du baptême, ne sont devenues obligatoires qu’après plusieurs siècles et qui toutes, le baptême comme les autres, ont subi des modifications nombreuses et fondamentales. Ces opérations mystiques, entièrement étrangères au droit naturel par leur nature même, conduisaient dans son système à une plus grande perfection en vue de l’existence future.[1]

Mais le mariage n’est sous aucun rapport et à aucun point de vue une opération mystique, une notion, croyance ou acte appartenant à la métaphysique religieuse. Il est un acte voulu par la nature pour la propagation de l’espèce ; un acte sortant complètement en conséquence de l’ordre métaphysique et mystique. Il ressort donc exclusivement de l’ordre de nature et comme acte physiologique et comme contrat. L’Église ne s’en est emparée qu’au moyen de sophismes audacieux quand elle ne comprenait rien à la question de droit naturel et qu’elle voulait tout rapporter à l’ordre dogmatique. Et ses sophismes ont été acceptés les yeux fermes au moyen-âge par les populations qu’elle tenait dans cette ignorance crasse dont nous parlent Fleury, Crevier et nombre d’autres, et par suite dans la foi qui ne raisonne pas et ne doit jamais raisonner, le pourrait-elle.

Mais dès que les légistes ont pu, sans crainte d’être bridés, examiner les sophismes ecclésiastiques à la lumière de la simple philosophie des choses et des droits individuels, ils les ont de suite percés à jour.

  1. Encore à la fin du ive siècle on baptisait les catéchumènes par l’immersion complète de tout le corps. Et on n’observait pas même les règles de la décence puisque pendant une émeute un certain nombre de catéchumènes femmes, que saint Jean-Chrysostome baptisait à peu près dans le costume d’Ève avant la chute, se sauvèrent presque nues par les rues de la ville. C’est ce petit accident qui fit modifier la décente pratique, car cette promenade en petit costume avait fort prêté à rire aux païens.