Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/07

VII


Mais que faisait donc le clergé des Pays-Bas au XVIe siècle, dans la grande lutte contre le protestantisme que l’on a noyé dans le sang ? On séparait de leurs maris les femmes protestantes et on les mariait de force avec les soldats espagnols et, quand elles étaient riches, avec les officiers. Or cela se faisait sous les auspices de l’Inquisition qui représentait certainement l’Église et qui exigeait l’obéissance même des protestants au décret Tametsi. Elle regardait ces protestantes, mariées à des protestants hors de la présence du prêtre comme de simples concubines. Mais en les mariant à des catholiques, elle se préoccupait infiniment peu de la nécessité dogmatique de leur libre consentement, car si elles refusaient de prononcer le oui exigé elle les déclarait hérétiques obstinées et les faisait enterrer toutes vives ! Elle faisait donc des mariages nuls en droit canon puisqu’il n’y avait pas eu de consentement libre. Ces femmes n’étaient donc pas les épouses régulières et légitimes du second mari qu’on les forçait de prendre. Elles étaient donc concubines sous le second mariage. L’Église laissait donc violer impudemment ses propres règles et elle n’a jamais dit un mot pour faire cesser ces crimes dans son propre système ! Infaillibilité pratique sur les mœurs !

Dira-t-on que je fais allusion à une époque politique troublée dans les Pays-Bas ? Mais depuis la révocation de l’édit de Nantes en 1685 jusqu’à 1787 où le pouvoir civil a enfin rendu l’état civil aux protestants en reconnaissant leurs mariages, l’Église reconnaissait-elle le mariage protestant ? Elle considérait au contraire comme bâtards tous les enfants protestants, et c’est sur cette prétention qu’elle s’appuyait pour les faire enlever à leurs parents et les placer dans ses couvents. Les évêques ont jeté des cris de rage quand la loi eût reconnu un état civil aux protestants. Et si l’Église admet aujourd’hui le mariage protestant c’est en se mettant en contradiction avec elle-même dans le passé.

Mais il y a de nos jours encore une preuve indiscutable que l’Église ne reconnaît pas le mariage protestant puisque si l’un des deux conjoints se fait catholique on lui permet de se remarier du vivant du conjoint resté protestant. Je cite des faits de ce genre un peu plus loin. L’Église ne reconnaît donc pas le mariage protestant puisqu’elle le traite comme non avenu en certains cas. Et pourtant Benoit XIV a déclaré que le mariage de deux protestants, fait selon les règles de leur église, était valide. Pourquoi le clergé français n’a-t-il pas admis cette décision et l’a-t-il combattue jusqu’à la Révolution ? Le fanatisme l’emportait tout simplement sur la raison.

L’Église ne reconnaît certainement pas le mariage unitairien, non plus que le mariage israélite, ou le mariage purement civil de deux déistes ou de deux libres penseurs, quoique pourtant ils aient tous satisfait à la règle absolue en droit canon du consentement libre qui seul constitue l’essence du mariage. Elle pose donc des principes qui ne sont pas même justes dans le faux droit ecclésiastique et qui sont absolument faux en regard du droit naturel.

De ce qu’elle a eu la fantaisie de décider, à Trente, non seulement que le contrat était la matière du sacrement, principe qui n’avait rien d’inacceptable en lui-même, mais qu’il n’y avait pas de contrat sans sacrement, principe faux en droit naturel, il ne suit nullement qu’en pratique sociale et civile l’État ou les particuliers soient tenus d’accepter pareille décision. L’Église prétend être au-dessus de tout dans le monde. Il y a pourtant une chose qui est au-dessus d’elle, c’est le droit ou la justice. Prenez deux personnes qui ont été baptisées et qui, après étude, se sont convaincues que la vérité religieuse n’est pas chez elle. Elles ont renoncé au catholicisme. Eh bien ! sous l’ancienne jurisprudence civile ces deux personnes n’eussent pu se marier ensemble parce que l’Église faisait passer ses dogmes avant le droit naturel et parce que l’État avait la faiblesse, ou mieux la sottise, de se laisser contrôler par elle. Et aujourd’hui que l’État a enfin, après dix siècles d’esclavage moral, reconnu le droit naturel des individus de se marier sans l’Église, celle-ci, dans son fanatisme dogmatique qui ne montre que son ignorance des vrais principes du droit naturel, n’a pas assez d’anathèmes et d’injures à leur lancer. Mariés sous les dispositions d’une loi sage, quoiqu’elle en puisse dire, elle continue de les regarder comme concubins. C’est une monstruosité en simple bon sens, mais elle est forcée de traiter le bon sens en ennemi parce que nombre de ses règles sont la violation du bon sens.

Elle part d’une assertion qu’elle ne peut pas prouver, d’une assertion reconnue fausse aujourd’hui par ceux qui étudient les faits généraux de l’univers, pour établir sa doctrine sur le mariage. Restée ignorante des lois et des faits de la création elle décide opiniâtrement que Dieu a institué le mariage dans la personne d’Adam et d’Ève.

— Mais Adam et Éve n’ont jamais existé.

— Impie ! Je déclare dans mon infaillibilité qu’ils ont existé et vous devez les accepter comme personnages historiques.

— Mais, très sainte Église, vous n’êtes pas infaillible sur le fait de l’existence d’Adam et d’Ève. Dans votre propre système vous n’êtes infaillible que sur les conséquences du fait de leur existence. Vous êtes donc tenue de démontrer par le raisonnement et par l’histoire qu’ils ont vraiment existé. Et cela, vous ne le pouvez pas ! Votre livre le dit sans doute, mais vous nous informez qu’il n’a aucune autorité sans vous. Vous n’affirmez donc le fait qu’en affirmant le livre et cela ne constitue en aucune manière une preuve historique. Vous ne pouvez affirmer un fait qu’en donnant une preuve prise en dehors de vous. C’est là ce que fait la science et ce que vous ne pouvez pas faire. La science seule oblige donc l’intelligence parce qu’elle prend ses preuves dans les faits naturels. Vous ne pouvez pas prouver qu’Adam ait vécu au temps où vous le placez et la science démontre par des preuves positives qu’il n’a pas pu exister alors puisqu’il se trouverait avoir existé au moins 2.000 ans après la construction du Grand Sphinx. Votre assertion du mariage remontant à la création de l’homme est donc absolument gratuite. Veuillez nous donner autre chose ?

On voit qu’il n’est vraiment pas difficile d’amener l’Église au bout de sa logique

Maintenant, en droit naturel, les libres penseurs doivent-ils trouver chez l’État la protection que l’Église leur refuse ? Ont-ils le droit d’embrasser l’état conjugal en dehors de dogmes auxquels ils ne croient pas parce que l’Église ne peut pas les leur démontrer par le raisonnement ? Ont-ils aussi le droit d’être protégés par la loi contre les saintes plumes ignorantes de l’Église qui les insultent parce qu’elles sont aveugles sinon de mauvaise foi ? Sous le système ecclésiastique un individu quelconque ne doit jouir des droits du citoyen que s’il est catholique. Le protestant n’a pas, théoriquement, le droit à la vie dans le système ; le libre penseur non plus et pendant des siècles l’Église les a fait massacrer, brûler et enterrer vifs comme tels. Et elle le ferait encore si elle n’était pas bridée par la loi devenue indépendante d’elle.

Tous les principes qu’elle pose dans la question du mariage comme conséquences de ses dogmes sont faux en droit naturel et social. Or les conséquences qu’elle tire de principes ou de définitions incorrectes en droit naturel ne peuvent pas être vraies en droit civil qui n’est que l’expression ou l’organisation légale du droit naturel. Voilà pourquoi elle ne sort d’une difficulté que pour tomber dans une autre. Elle se débat sans cesse contre des objections insolubles parce que son système est forcément en conflit avec le droit naturel et, par suite, en conflit avec le simple bon sens des choses.

Enfin, quand elle permet à ses saintes plumes d’affirmer, comme si elles le croyaient, qu’elle reconnaît le mariage protestant, elle sait pourtant bien qu’elle ne peut pas le faire sans mettre au panier son décret Tametsi. Donc cette affirmation ne constitue qu’un subterfuge indigne au point de vue de la bonne foi et de la conscience et elle ne devrait pas le tolérer.

Maintenant où le beau principe qu’il n’existe pas de mariage régulier chez les israélites et les protestants. et surtout chez les unitairiens et les libres penseurs mariés civilement, conduit-il le théologien catholique ? À qualifier de simple fornication la séduction d’une femme non catholique par un célibataire catholique. La femme n’étant pas légitime aux yeux de l’Église l’adultère ne saurait exister. La loi civile y voit un adultère et elle a raison. Elle est donc supérieure ici — comme sur tant d’autres points du reste — à la loi ecclésiastique au point de vue de la morale publique et privée. Le légiste redresse donc ici les docteurs infaillibles. En un mot le législateur civil a complètement raison et l’Église a complètement tort sur cette question.