Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/06

VI


Si le principe posé par l’Église dans son décret Tametsi du concile de Trente : que tout mariage

fait hors de la présence du prêtre est nul, était correct, il n’y aurait pas de femmes légitimes, pas d’enfants légitimes par conséquent chez les juifs ou les protestants, les unitairiens ou les libres penseurs. Or affirmer pareille idée, c’est non seulement outrager la conscience de l’humanité et tous les plus nobles instincts du cœur, mais c’est aussi outrager les bonnes mœurs et le plus simple bon sens des choses. L’Église espérait évidemment faire de son décret Tametsi la règle absolue des unions conjugales, mais elle a dû ensuite reculer devant l’évidence des principes et les réalités des faits et des situations.

Cette prétention que le mariage catholique est seul valide et régulier remonte loin dans l’Église. Dès les premiers siècles on avait considéré comme nulle toute cérémonie nuptiale faite hors du sein de l’Église. C’est surtout aux mariages conclus sous le rite israélite que s’adressait la prétention, et dès l’année 305 le concile d’Elvire prohibe tout mariage avec un juif ou une juive, ou un gentil. Mais l’Église ne voulait pas non plus d’unions conjugales avec les dissidents en religion.

De suite la haine contre les Juifs meurtriers du Christ était devenue intense. Dès la fin du iie siècle on ne leur pardonnait pas de refuser de voir le Messie dans Jésus. Les Juifs, eux, ne voulaient pas admettre dans les prophéties le sens chrétien qu’elles ne comportaient réellement pas, mais ce refus semblait être une horrible impiété aux partisans du sens figuré, et nouveau pour les Juifs, de ces prophéties. Il est pourtant certain que sur leur sens réel ce sont les Juifs qui avaient raison, car les interprétations catholiques ne tiennent pas debout. Les Juifs les prenaient dans leur sens propre et les chrétiens étaient obligés d’avoir recours au sens figuré et a des interprétations d’un fantaisisme réjouissant. Les Juifs et les païens furent donc mis hors la loi sur la question du mariage. Les femmes juives, païennes et même dissidentes ne furent plus regardées que comme des concubines, et on se mit à massacrer les femmes juives et dissidentes sans plus de pitié que les hommes dans les différentes querelles ou émeutes que le fanatisme orthodoxe suscitait à tout propos pour amener le triomphe de la vraie religion. Le fait est que si une religion est d’autant plus vraie qu’elle a fait massacrer plus de monde, aucune religion n’approche du catholicisme.

Cette fausse notion de l’illégitimité du mariage des hérétiques s’est perpétuée à travers les générations, est devenue partie intégrante des traditions de l’Église et est arrivée à son point culminant dans le décret Tametsi qui s’adressait surtout aux partisans de la Réforme qui avaient avec raison fait du mariage un acte purement de droit naturel et social. L’Église a tenu longtemps à cette fausse notion, mais il lui a fallu lui apporter quelques palliatifs dans la pratique. Mais ces palliatifs sont en contradiction avec son décret Tametsi, c’est-à-dire qu’il y a manque de sincérité ou dans le décret ou dans les palliatifs. Et tout en maintenant haut et ferme ses définitions dans toutes ses déclarations de principes il lui a fallu plier devant les réprobations que suscitaient partout certaines conséquences forcées de la règle qu’elle posait.

Ces conséquences étaient que toutes les femmes Israélites et protestantes n’étaient que des concubines et que, par suite, tous les enfants Israélites et protestants n’étaient que des bâtards. Eh bien, cela s’affirme dans les journaux par les écervelés du catholicisme. Un journal clérical anglais du Canada a développé au long cette énormité et la démontrait catholiquement avec une incomparable rigueur de déduction. Il soutenait une monstruosité en droit social, mais elle découle clairement du système puisque l’Église ne reconnaît pas le mariage protestant ni le mariage Israélite.

Et voyez jusqu’où peut se fourvoyer un esprit faussé par la théologie ! C’était aux protestants que le rédacteur de ce journal adressait ses articles ! C’était pour les ramener à la vraie religion qu’il leur démontrait par A plus B que pas une femme protestante n’était une épouse légitime ! Toutes les épouses anglaises, allemandes, américaines, de simples concubines ! Pas une femme dans le protestantisme qui mérite le respect d’un catholique ! Combien a-t-il pu convertir de protestants par cette transcendante tactique ? Un journal clérical voudrait-il bien se donner la peine d’en faire l’évaluation ?

Un apologiste me dira ici : « Pardon, monsieur, l’Église reconnaît le mariage protestant. » Eh bien ! comment le reconnaît-elle ? Elle n’exige pas, par exemple, ou plutôt n’exige plus, que deux protestants qui se convertissent au catholicisme renouvellent leur mariage devant un prêtre, mais que fait-elle ici de son décret Tametsi ? Voici ce décret tel que je le trouve dans le Dictionnaire de droit canonique de Mgr André, t. ii. p. 581 :

Quant à ceux qui entreprendraient de contracter mariage autrement qu’en présence du curé, ou de quelqu’autre prêtre avec permission du curé ou de l’ordinaire, et avec deux ou trois témoins, le saint concile les rend absolument inhabiles à contracter de la sorte et ordonne que tels contrats soient nuls et invalides, comme par le présent décret il les casse et les rend nuls.

On voit qu’il ne s’agit pas ici seulement des catholiques, mais de tous ceux qui entreprendraient de contracter mariage autrement que devant un prêtre. Ce décret déclarait donc bâtards tous les enfants nés dans le protestantisme, et c’est sur lui que s’appuyait le journaliste dont je viens de parler pour qualifier de concubines toutes les femmes protestantes.

Mais la conséquence était tellement révoltante que malgré le concile et son infaillibilité il a fallu chercher des palliatifs, trouver des atténuations à l’infaillible énormité commise. Or comme il n’y a pas de limites aux distinguo théologiques on a imaginé celui-ci : « Les protestants qui ne reçoivent pas le sacrement du mariage sont censés l’avoir reçu s’ils ont eu l’intention au moins implicite de se marier chrétiennement. » Or chrétiennement ici signifie selon les intentions de l’Église. Et voilà ! On ruse en toute loyauté avec les situations et on prétend avoir fait honnêtement la volonté de N.-S. J.-C. On suppose que le protestant a songé à ce qui ne peut lui être venu à l’esprit : se marier selon les intentions de l’Église, et on admet la validité d’un mariage que le concile a solennellement déclaré nul ! Les inférieurs sont obligés de démontrer dans la pratique que les supérieurs infaillibles ont fait un impair, mais la grosse masse l’ignore et on se préoccupe fort peu que quelques hommes intelligents connaissent la contradiction.