Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/04

IV


Il n’est donc pas vrai, absolument pas vrai, malgré toutes les colères de l’Église et les injures de ses fanatisés, que le mariage hors de la présence du prêtre soit un concubinage puisque le prêtre ne fait aujourd’hui rien, absolument rien de plus, que l’officier civil. Je comprends qu’on ait pu le dire quand on regardait le prêtre comme ministre du sacrement par sa bénédiction et le prononcé du conjungo aux conjoints. Il y avait là un acte extérieur que l’on considérait comme conférant le sacrement. Mais aujourd’hui que le prêtre est représenté par l’Église elle-même comme n’ayant rien à faire avec le sacrement et n’assistant à un mariage que comme témoin, c’est vraiment un peu trop mentir à Dieu et aux hommes que de proclamer comme concubinage et débauche un mariage fait sans le prêtre. Le concile de Trente lui-même ne donne pas la bénédiction du prêtre comme conférant le sacrement. Il n’est que témoin nécessaire. Pourquoi plus nécessaire que l’officier civil puisqu’il n’agit en aucune manière dans ses attributions découlant de son ordination ? Ce n’est pas sa présence qui constitue le sacrement, c’est le seul consentement des parties. Ce n’est pas le prêtre qui administre le sacrement, ce sont, d’après les canonistes modernes, les conjoints qui se l’administrent à eux-mêmes ! L’inspiration moderne est donc toute différente de l’inspiration antérieure. Quant à moi je crois que c’est plutôt l’Église que le Saint-Esprit qui se contredit.

Sous le pouvoir temporel deux personnes mariées par un prêtre n’avaient qu’à affirmer le défaut de consentement libre pour faire déclarer qu’il n’y avait pas eu mariage. Il n’y avait donc pas eu de sacrement malgré la présence du prêtre. Mais cette facilité donnée aux gens de rompre un mariage consommé était bien pire que le divorce, car elle constituait bel et bien et une incitation à mentir et une consécration des mensonges auxquels les parties avaient eu recours pour faire déclarer leur mariage nul.

Dans le système théologique, au lieu d’aborder les difficultés de front et de les résoudre rationnellement on a sans cesse recours à de pures hypocrisies.[1] La loi n’admet plus ces détours, ces voies obliques de sacristie. Elle les a admis tant qu’elle est restée sous la férule sacerdotale, mais depuis qu’elle s’en est affranchie elle juge les questions matrimoniales sur les seules notions de droit et de justice que le dogme viole trop souvent.

Pourquoi l’Église n’a-t-elle jamais pu donner une formule correcte dans son propre système de son sacrement de mariage ? Précisément parce qu’elle a voulu déclarer sacrement une institution qui n’était pas susceptible d’être rangée rationnellement sous pareille classification. Qu’y a-t-il des religieux dans le but du mariage ? Qu’y a-t-il de religieux dans sa consommation ? L’institution en soi a-t-elle trait à autre chose qu’à la création de la famille conduisant à la constitution du corps social ?

Les conciles, les encycliques des papes répètent sans cesse que le mariage remonte à Adam et à Ève et que par suite le mariage est d’origine divine. Le catéchisme du concile de Trente dit :

« Une des premières choses à apprendre aux fidèles c’est que le mariage a été institué par Dieu lui-même : Dieu les créa mâle et femelle » ; « Croissez et multipliez » ; « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; faisons lui une compagne », etc.

Eh bien ! tout cela est-il certain ? Comment tant de grands esprits n’ont-ils pas aperçu l’énorme contradiction qui existe entre les deux premiers chapitres de la Genèse ? Dans le premier : « Il les créa mâle et femelle. ». L’homme avait donc sa compagne. Dans le second : « Faisons-lui une compagne… », qu’il avait déjà dans le premier chapitre. Il n’était donc pas nécessaire de lui tirer une côte pour lui bâtir une compagne. Et on traite d’impies ceux qui ne veulent pas accepter pareils contes bleus ! Le second chapitre contredit le premier et on veut qu’ils soient vrais tous les deux !

Enfin est-il historiquement vrai, certain, qu’Adam et Ève aient été des personnages réels créés tous deux directement à l’état adulte ? Examinons la chose comme si un bon convertisseur, dont je respecterais certainement l’intention, venait essayer de me faire croire à ces contes de l’antique ignorance. Si je lui montre que ce qu’on appelle le récit attribué à Moïse a été copié de documents plus anciens : indous, persans, chaldéens, donc de documents païens, il n’y a clairement rien là de divin au sens chrétien, puisque toutes ces sources ont été attribuées au diable, à commencer par Tertullien pour finir par Lacordaire. L’infaillibilité de l’Église n’a rien à faire ici, puisqu’elle ne se prétend infaillible que sur le droit — la foi — et jamais sur le fait. Si on me parle d’inspiration de la Bible je demande pourquoi je n’y trouve pas une seule idée originale, pas un mot qui n’ait été dit avant elle, depuis les six jours, l’arbre de vie et le serpent qui parle jusqu’à l’épée flamboyante. Et le mythe de la chute dans les livres indous est d’une portée philosophique, morale, poétique même, bien supérieure à celle du livre prétendu inspiré. Le diable aurait-il été un inspirateur supérieur au Saint-Esprit ?

Si Adam et Ève n’ont pas existé il y a environ six mille ans, ils n’ont certainement jamais existé, puisque la généalogie de Luc ne les fait pas remonter même aussi loin. Pas moyen de sortir de là ! Ou Adam a existé il y a moins de six mille ans ou la généalogie de Luc est fausse. L’Église va-t-elle jeter Luc par dessus bord ?

Maintenant le Monde, la Terre, ont-ils commencé il y a six mille ans ? Il est devenu absolument risible de le croire car il y a eu plusieurs époques glaciaires et il ne peut pas y avoir moins de deux cent quarante-huit mille ans entre les commencements de deux époques glaciaires.

Enfin l’humanité a-t-elle commencé il y a six mille ans ? Cette prétention aussi est devenue risible car l’humanité remonte bien au-delà de la dernière époque glaciaire qui a commencé il y a plus de deux cent mille ans. Les constatations scientifiques sont formelles là-dessus. Contentons-nous seulement de la période connue non par des documents écrits, mais d’abord par les monuments de l’Égypte, puis par les œuvres de l’homme : briques, outils en métal et en pierre. Les pyramides remontent à environ 7.000 ans. La pyramide de Sakkarah leur est antérieure d’au moins cinq siècles. Le temple d’Harmachis est plus ancien encore et le grand sphinx remonte à peu près certainement à dix ou quinze siècles au-delà des grandes pyramides. Le prétendu Adam n’a donc pas existé il y a 6.000 ans.

Maintenant il est prouvé par des débris de briques et de terre cuite qu’il y avait des hommes en Égypte il y a 20.000 ans. Ces débris sont considérablement antérieurs aux plus anciens monuments égyptiens, ayant été trouvés à 60 et 70 pieds de profondeur dans les dépôts limoneux du Nil. Puis les haches et outils de la fin de l’époque glaciaire sont considérablement antérieurs à tout cela. Puis viennent les haches taillées pendant l’époque glaciaire, bien antérieures encore, puis enfin celles trouvées dans les terrains pré-glaciaires. Il y a là une masse de preuves auxquelles il faut se rendre quand on les étudie. Quant à ceux qui n’étudient rien, ne feraient-ils pas mieux de se taire ?

Mais on me dira : Croyez vous-donc avoir plus d’intelligence à vous seul que les conciles, les papes et tous les grands écrivains chrétiens : Saint Thomas, Pascal, Bossuet, Descartes, Leibnitz, Fénelon, les cardinaux La Luzerne et Gousset et tant d’autres ?

Eh non ! mon Dieu ! je ne me prétends pas leur égal en intelligence, mais vivant à la fin du xixe siècle, je sais ce qu’ils n’ont pas pu savoir puisque les découvertes d’aujourd’hui n’étaient pas faites de leur temps. Je n’aurais certainement pas la sottise de me croire l’égal de Newton, de Laplace ou de Cuvier comme savant, mais ils n’ont pas pu deviner ce qui ne s’est découvert qu’après eux. Le monde sait aujourd’hui ce qu’il ne savait pas il y a cinquante ans. Et le grand tort du clergé c’est de raisonner encore aujourd’hui d’après l’état des connaissances humaines avant le siècle actuel. Il n’est pas permis de s’arc-bouter contre les faits scientifiques constatés parce qu’il existe un vieux livre qui a été écrit trois mille ans avant la découverte de ces faits. Comment ! dès le iie siècle du christianisme il y avait des écrivains chrétiens qui soutenaient que « les faits de la création de Dieu devaient passer avant les récits de la Genèse », et dix-sept cents ans plus tard le clergé vient nous dire que ce vieux livre met à néant tout ce qui se découvre à l’heure qu’il est relativement aux faits de la création ! Le triste Syllabus le dit en toutes lettres ! Ah ! çà, voyons, excellents dormeurs, réveillez-vous, s’il vous plaît ! Regardez un peu autour de vous ! Ne vous fermez pas les yeux comme les péripatéticiens qui ne voulaient pas voir les satellites de Jupiter.

Quand vous venez encore nous répéter cette amusante assertion que le mariage remonte à Adam et à Dieu qui l’a créé, mettez-vous donc un peu dans l’esprit que d’après la généalogie de Luc Adam a dû exister il y a moins de six mille ans et qu’alors les pyramides existaient depuis au moins mille ans, et la pyramide de Sakkara depuis à peu près quinze cents ans, et le grand sphinx depuis à peu près deux mille cinq cents ans. Votre Adam est donc un mythe et non un personnage réel. Le mariage ne remonte donc pas à un être que les constatations les plus irréfragables de la géologie démontrent n’avoir jamais existé. Depuis combien de siècles se mariait-on à l’époque assignée à Adam par la généalogie de Luc ?

Il serait temps en vérité que l’on renonçât à nourrir soigneusement les ignorances du moyen âge sur l’origine de l’humanité. Ces ignorances étaient sans doute parfaitement excusables alors, mais est-il bien permis de s’y cramponner encore aujourd’hui qu’elles sont pleinement démontrées ?

Je sais bien que l’on s’y rattache désespérément parce que tout tombe si Adam n’est pas le premier homme : parce que l’on veut couvrir de son corps la source et la base de tout le système dont on vit. Mais veuillez donc vous rappeler le mot si juste de notre grand Bossuet :

Le plus grand dérèglement de l’esprit est de croire aux choses parce qu’on désire qu’elles soient.

Non ! il faut renoncer à Adam comme personnage réel. Le mariage ne remonte pas plus à l’Adam juif qu’à l’Adima des Indous, car celui-là est légendaire au même degré que celui-ci, puisque la légende d’Adam a été copiée sur celle d’Adima qui a conséquemment la préséance d’âge.

  1. N’était-ce pas autoriser l’hypocrisie et le mensonge que de permettre aux gens, pour prêter leur argent à intérêt, d’arguer de dommage naissant, de lucre cessant ? Plutôt que de leur permettre franchement un acte légitime en lui-même, on leur suggérait toutes sortes de jésuiteries pour ruser avec les situations. La sincérité toujours reléguée dans son coin par le probabilisme !