Les ennemis et les défenseurs de Dreyfus

Livre d’hommage des lettres françaises à Émile ZolaSociété libre d’Édition des Gens de Lettres, G. Balat (p. 8-10).

Les ennemis et les défenseurs
de dreyfus

D’un côté, un fou, le colonel Sandherr ayant l’antisémitisme au nombre de ses monomanies ; un autre fou, du Paty de Clam ; une brute, le colonel Henry ; un général qui obéit aux jésuites, le général de Boisdeffre ; un sous-chef d’État-Major timoré, le général Gonse ; un ministre de la guerre, qui, par peur de la Libre Parole et de l’Intransigeant, inspirés par ses officiers d’État-Major, s’est décidé à commettre un crime juridique ; une tourbe d’antisémites, d’anciens boulangistes, menés par Drumont, organe des jésuites, et par Rochefort ; Deroulède, guignol du patriotisme, Millevoye, l’homme des papiers Norton, des ministres qui deviennent pusillanimes jusqu’au crime comme Méline et Billot ; des magistrats qui étendent leurs robes sous les bottes des soldats ; des militaires qui ont le mépris de la loi et qui mettent leur honneur, pour ne pas réparer une erreur judiciaire, à maintenir la condamnation d’un innocent et à couvrir un traître.

D*un autre côté, une famille admirable, un frère dévoué et actif, une femme qui montre un courage à la hauteur du malheur qui la frappée, un père qui la soutient, des amis qui se groupent autour de ces victimes ; un homme comme Picquart qui brise sa carrière militaire dans l’intérêt de la vérité et de la justice ; un vieillard, le dernier représentant de l’Alsace-Lorraine en France, vice-président du Sénat, considéré par tous, qui prend la cause en mains ; les amis connus et inconnus qui se groupent autour d’eux, gens honnêtes et de grande valeur : Joseph Reinach, qui sacrifie son siège de député à son devoir ; Leblois qui, tout dévoué à Picquart, devient aussi dévoué à Dreyfus ; Zola, enfin, un littérateur qui, depuis vingt ans, tient la plus grande place parmi les romanciers et a le don de passionner tout ce qu’il touche, qui se jette dans la bataille avec son audace habituelle et met le gouvernement en demeure de le poursuivre ; un jeune avocat plein d’ardeur, de science juridique, d’éloquence et de foi, Me Labori ; un ancien député dont l’éloquence redoutable a culbuté tant de ministres, M. Clemenceau ; puis tous les intellectuels qui quittent le silence, leurs laboratoires, la tranquillité de leurs cabinets, au risque de compromettre leur situation : Duclaux, Friedel, Grimaux, G. Meyer, Louis Havet, Giry, pour ne citer que les membres de l’Institut, et une foule de membres du haut enseignement.

Voilà en présence les deux groupes.

L’homme qui prône les mensonges du premier groupe, qu’ils défendent, qu’ils mettent leur honneur à couvrir, c’est un ancien zouave pontifical, Walsin Esterhazy ; il a contre lui toutes les preuves ; preuves littérales, preuves testimoniales, présomptions, aveux. C’est un bandit connu comme tel partout où il a passé. Il a écrit des lettres où il crache toute sa haine contre la France, son armée et ses chefs. Il est convaincu du crime.

L’homme que défendent les membres du second groupe est un homme d’un mérite incontestable : nul mobile de trahison, aucune preuve contre lui, aucune présomption, sauf une seule : — Il est Juif.

Il ne reste plus qu’un problème : — Comment y a-t-il encore des adversaires de la révision du procès Dreyfus ?

Yves GUYOT,
ancien ministre,
directeur du Siècle.